14 février 2024

AVEC TOUS TES FRÈRES ÉTRANGERS

Après s’être penchés sur le destin fulgurant de RINO DELLA NEGRA, FOOTBALLEUR ET PARTISAN, les historiens Dimitri Manessis et Jean Vigreux élargissent leurs recherches aux organisations politiques qu’il fréquenta : les mouvements, proches du Parti communiste, organisant la « main-d’oeuvre immigrée ».

La Première Guerre mondiale a provoqué une chute de la population active masculine de plus de 10%, nécessitant un appel à la main-d’oeuvre immigrée. Fuyant les foyers de persécution, avec l’arrivée au pouvoir du fascisme en Italie et de régimes autoritaires en Hongrie, en Espagne et au Portugal, avec aussi le génocide des Arméniens et les persécutions antisémites à l’est de l’Europe, ils sont nombreux à arriver en France. En 1923, la CGTU créé un bureau de la Main-d’oeuvre étrangère (MOE), qui se développera quelques années plus tard. Il s‘agit bien sûr d’organiser ces travailleurs et de lutter contre la xénophobie, laquelle détourne les prolétaires de la lutte contre le capitalisme. Des groupes de langue sont installés au sein du PCF au congrès de Lyon en 1924, avec toujours une vigilance de la part de celui-ci contre leur « autonomie » : ils doivent effectuer un travail de propagande, en aucun cas discuter de la ligne. Les auteurs présentent les différents groupes, l’évolution de leurs effectifs, les dirigeants et les personnalités marquantes. Tous subissent la répression (xénophobie, anticommunisme et chasse aux syndiqués) et beaucoup seront expulsés. La crise économique de 1929 touche la France à partir de 1931–1932. Une loi relative à « la protection de la main-d'œuvre nationale », est votée fin 1931, fixant des quotas dans les entreprises publiques et privées, restreignant les droits des étrangers. Une brochure publiée par la CGTU/ISR en 1933 explique : « Pendant que tes chefs et la bourgeoisie essayent de faire croire aux travailleurs français qu'il y a possibilité de résoudre le chômage en chassant les immigrés, ils orientent ainsi le mécontentement dans une lutte contre les travailleurs immigrés, au lieu de s’unir avec ces derniers pour faire supporter le poids de la crise au patronat et à la bourgeoisie, seuls responsables. » Pour éviter la connotation négative dans un contexte de montée de la xénophobie, le nom de la MOE change pour celui de Main-d’oeuvre immigrée (MOI).
Cependant, entre 1934 et 1936 le PCF abandonne la stratégie « classe contre classe » pour la construction de fronts antifascistes, favorisant les alliances avec les ennemis d’hier : « bourgeois » (radicaux) et « socio-fascistes » (socialistes). Avec le Front populaire et surtout les grèves qui se poursuivent après la signature des accords de Matignon, le nombre d'adhérents travailleurs étrangers explose.
La Guerre d’Espagne provoque une grande vague de solidarité. De nombreux étrangers, notamment des Italiens, des Allemands, des Polonais des Tchèques,… rejoignent les Brigades Internationales, poursuivant le combat antifasciste que beaucoup avait commencé dans leur pays. Avec la Retirada, début 1939, ils se retrouvent parqués dans des camps, comme 465 000 personnes qui arrivent en France. Leur expérience militaire sera déterminante durant la Résistance.
Cette période est plus connue, notamment grâce au « groupe Manouchian », popularisé par l’Affiche rouge. Dimitri Manessis et Jean Vigreux raconte toutefois cette période avec le même soucis du détail, sur la base des nombreuses archives, en particuliers celles du Komintern récemment ouvertes et celles de Jacques Duclos, au Musée d’histoire vivante à Montreuil, confrontant les sources et les récits.
Le Pacte germano-soviétique jette le trouble chez les militants attachés à la ligne antifasciste. Le PC est devenu clandestin avec le décret-loi du 26 septembre 1939 et la MOI, dissoute comme l'ensemble des organisations communistes, se reconstitue clandestinement pendant l'été 1940. En 1941 elle s'attache à démoraliser les troupes d'occupation par un travail de propagande. Après l'entrée en guerre de l'URSS, en juin 1941, le PC s'inscrit dans une logique d'affrontement direct, développant une lutte de guérilla avec des attentats contre des officiers allemands, puis des magistrats des Sections spéciales. Au printemps 1942, sont mis en place les FTPF, auxquels sont rattachés les FTP–MOI, sous l'autorité d'un Comité militaire national dirigé par Charles Tillon. L’histoire, la composition et les actions des différents groupes locaux sont présentées. La traque subie par les FTP-MOI de Paris, jusqu’à leur arrestation, est rapportée, la légende déconstruite. Puis, la construction mémorielle est explorée – chapitre parmi les plus intéressants – jusqu’à la prochaine panthéonisation. Poèmes, chansons, livres et films sont analysés dans cette perspective.
La MOI perdure jusque dans les années 1980.

À l’heure où l’immigration est criminalisée par des lois de plus en plus répressives, où le « roman national » prétend ne conserver qu’une partie de l’histoire pour l’instrumentaliser encore une fois, ce rappel à propos de la « main-d’oeuvre immigrée » s’avère important et nécessaire : « Des combattants étrangers qui se battent pour la libération de la France, repérés, filés, arrêtés, torturés par des policiers français. » Le travail rigoureux de Dimitri Manessis et Jean Vigreux est plus qu’un simple hommage : aucune histoire ne peut être que nationale ! Aussi peut-on les laisser conclure : « Évoquant l'opposition faite le plus souvent par l'extrême droite sur le droit du sol et le droit du sang (jus soli et jus sanguini), non sans arrière-pensée raciale et raciste, Adam Rayski, dirigeant de la MOI, puis des FTP–MOI, offre l'analyse la plus fine et la plus à même de terminer cet ouvrage : “Par leur engagement exceptionnel dans la guerre, et plus particulièrement dans la résistance, les immigrés semblent avoir dépassé cette opposition en versant leur sang sur le sol français.“ »

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier



AVEC TOUS TES FRÈRES ÉTRANGERS
De la MOE aux FTP-MOI
Dimitri Manessis et Jean Vigreux
272 pages – 10 euros
Éditions Libertalia – Montreuil – Février 2024
www.editionslibertalia.com/catalogue/poche/ftp-moi-avec-tous-tes-freres-etrangers



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RINO DELLA NEGRA, FOOTBALLEUR ET PARTISAN

 

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