25 février 2024

HOLLYWOOD PROPAGANDA

Souvent accusé d’être un « repaire de gauchistes », Hollywood est surtout « un prodigieux outil de propagande au service de l’hégémonie américaine ». Enseignant à l’Université de Bath, Matthew Alford analyse une cinquantaine de films des années 1990-2010, à partir d’archives déclassifiées et de témoignages directs.
Jusqu’en 2018 et pendant des décennies, six studios ont dominé l’industrie cinématographie étasunienne. Puis, avec le rachat de la Fox par Disney, ce ne sont plus que cinq « majors » qui contrôlent la plus grande partie de la production et de la distribution. L’auteur nous explique cette économie particulière, reposant sur les produits dérivés, ses budgets colossaux, ses relations avec l’armée, depuis le début du XXe siècle, pour réduire les coûts de production et gagner en authenticité, en échange de scénarios bienveillants. Si l’influence de la CIA est plus discrète, elle est plus transparente depuis 1995, avec la nomination de « conseillers » officiels sur plusieurs films. Et l’autocensure devient inévitable dès lors qu’un cinéaste évoque l’appareil de sécurité nationale. Les mensonges et amalgames construits et diffusés par le FBI pour discréditer certains acteurs compromis (Jane Fonda pour sa campagne contre la guerre du Vietnam, Jean Seberg pour sa proximité avec les Black Panthers), et les entraves à la diffusion de certains films, de la part des médias ou de groupes de pression, sont rapportés. Il explique l’importance d’un postulat propre aux États-Unis derrière ces agissements : « L’idée que la politique étrangère des États-Unis est bienveillante provient de la croyance historique très répandue en l’“exceptionnalisme américain“, une conception qui postule que les États-Unis sont une nation extraordinaire, destinée à jouer un rôle à part dans l'histoire de l'humanité. » Il met en lumière les liens entre l’industrie du cinéma et celle de l’armement : certains administrateurs de la Walt Disney Company siègent aussi à Boeing, ou travaillent pour DreamWorks Animation et pour la compagnie d’armement Northrop  Grupman. « En détenant 80 % d’Universal Studios, GE est également devenue l'un des principaux conteurs d'histoires du monde. »

En substance, « l'un des thèmes récurrents du corpus de films traités ici réside dans le fait que même parmi les œuvres qui sont les plus sophistiquées politiquement parlant, beaucoup souscrivent au postulat de la bienveillance fondamentale de la politique étrangère des États-Unis, même lorsqu'ils expriment des inquiétudes de nature tactique quant à l'usage de la force. Suggérer que cette politique étrangère est le résultat d'intérêts politiques et économiques plus profonds et moins avouables est quasiment impossible. Ainsi, les conséquences néfastes de la guerre ne sont pas vues comme le résultat d'une politique gouvernementale, mais plutôt comme imputable à des “brebis galeuse“ ou à des “francs-tireurs isolés“ mêlés à la masse. Au pire, les crimes les plus répréhensibles, tels que les agressions américaines en Indochine et au Proche-Orient, vont engendrer des traumatismes pour les États-Unis eux-mêmes. L'une des forces de cette grille de lecture, c'est qu'elle correspond étroitement à la propre optique du Pentagone quant à la façon dont les films doivent être conçus pour servir les objectifs du département de la Défense. »

Matthew Alford explore donc ensuite, genre par genre, exemples à l’appui, comment le cinéma américain conforte l’ordre établi : films de guerre, comédies, films d’action et d’aventure, films de science-fiction et films politiques. La brèche qui s’était ouverte à la fin des années 1970 et durant les années 1980, permettant de développer une critique de la guerre du Vietnam (Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, Outrages de Brian de Palma) s’est refermée. La Chute du Faucon noir de Ridley Scott, par exemple, abondamment financé par le Pentagone, sous-entend bien qu’une mission américaine en Somalie, pendant laquelle deux hélicoptères Black Hawk sont abattus, est une erreur tactique, mais sans laisser entendre que les motivations des autorités dépendent d'intérêts privés : un intertitre au début du film affirme que le gouvernement américain a envoyé l'armée pour empêcher les indigènes de se tuer entre eux. La plupart des films de guerre anoblissent les souffrances américaines et prennent fait et cause pour le recours à la puissance militaire, afin de servir des fins prétendument humanitaires. Si la comédie possède « un formidable potentiel de subversion » , de nombreux scénarios sont édulcorés, tandis que les films d’action sont plus propices à une présentation simpliste de la politique étrangère es États-Unis. Il « héroïsent » généralement les structures du pouvoir central américain. Les questionnements se limitent à regretter que la puissance américaine ne soit pas assez souvent déployée ou avec insuffisamment de force. Si Avatar, de James Cameron, propose certes une critique du cynisme traditionnellement prêté à la superpuissance, il ne va pas jusqu’à condamner réellement les actions des États-Unis. Le réalisateur le reconnait lui-même : la dénonciation de la destruction de la nature s'adresse à tous les êtres humains et non pas aux seuls américains. Sa critique du colonialisme reste superficielle et aseptisée. Quant aux films politiques, ils ont toujours tendance à encourager des réactions conservatrices. Si les « films présidentiels » d’Oliver Stone présentent bien la politique étrangère des États-Unis comme le produit des intérêts militaires et économiques intérieurs, ils cultivent le mythe d'une ère Kennedy marquée par un « nouvel esprit des lumières », occultant ses victimes.
Des productions plus dérangeantes ne disposent que d'un petit budget, mais possèdent « une gros potentiel pour […] remettre en question les partis pris ordinaires quant à la bienveillance américaine ». D’autres exemples sont, là-aussi, longuement analysés.

On sait bien sûr qu’Hollywood contribue à la propagande américaine mais il est intéressant de mesurer et comprendre précisément les interventions de l’administration et les budgets qui leurs sont dédiés.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


HOLLYWOOD PROPAGANDA
Final cut
Matthew Alford
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Cyrille Rivallan
300 pages – 23 euros
Éditions Critiques – Paris – Avril 2023
editionscritiques.fr/produit/hollywood-propaganda-final-cul/
Titre original : Reel Power : Hollywood Cinema and American Supremacy, 2017



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