2 février 2024

LYSISTRATA, MON AMOUR

Le dramaturge roumain, exilé en France depuis 1987, Matéi Visniec adapte et prolonge la fameuse pièce d’Aristophane, Lysistrata. Avec la même grivoiserie et la même audace que son illustre prédécesseur, il tente, en actualisant le propos – il l’écrit alors que les troupes russes s’amassent à la frontières ukrainienne –, de relancer une controverse sur la guerre et la paix, du point de vue du genre. Vaste programme !

En quelques tableaux efficaces, chœur et coryphée retracent l’histoire de cette femme qui poussa ses comparses à se refuser à leur mari jusqu’à ce que ceux-ci renoncent à guerroyer. La seconde partie laissera toutefois longtemps le lecteur perplexe. Matéi Visniec fait en effet cette fois soutenir par Lysistrata, du haut de ses quatre-vingt-quinze ans, un discours tout à fait inverse : les Perses sont de retour et les hommes pas du tout disposés à se battre.
Difficile de savoir ce que pense réellement l’auteur. Si l’évocation des variations de genre pourra paraître réactionnaire, il ne faut pas oublier que nous sommes ici dans le registre de la comédie. De la même façon que certains soupçonnent Aristophane de permettre aux hommes de se moquer des femmes, en les ridiculisant dans une entreprise utopique, on pourra penser que Matéi Visniec n’est guère plus tendre. La contre-proposition qu’il prête à une Lysistrata vieillissante d’appeler à une nouvelle grève du sexe pour pousser les hommes à abandonner leurs pyjamas roses et se ressaisir de leurs glaives pour les défendre, pourra sembler une trahison complète du modèle antique, mais au final, au-delà de l’intention comique, il est difficile d'en déceler d'autres.
La construction de cette pièce, avec ses symétries parfaites, ne manquera certes pas de provoquer les rires des spectateurs, mais qu’incitera-t-elle penser ? Les séquences vidéo, les adresses au public ne contribuent qu’à ce dispositif burlesque. La sagesse de Lysistrata est finalement discréditée, puis disqualifiée par le chœur. Inutile de chercher un fil conducteur dans cette 
« exceptionnalité humaine à banaliser l’acte sexuel », « déconnecté de l’enjeu existentiel de la reproduction de l’espèce », ou dans « la vie qui a le dernier mot ». Le moindre énoncé est aussitôt discrédité. À tout moquer, à décliner les clichés pour les prêter aux railleries, que reste-t-il ? Au moins un soupçon de réflexion ? Il est permis d’en douter. L'auteur revendique d’ailleurs que « seuls les problèmes ont des solutions, pas les dilemmes… ».
Distraire peut certes être une fin en soi, était-il pour autant judicieux de dénaturer une œuvre dont la subversion aura su traverser les siècles ? Rien n’est moins sûr !

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


LYSISTRATA, MON AMOUR
Matéi Visniec
108 pages – 13 euros
Éditions L’Espace d’un instant – Paris – Septembre 2023
parlatges.org/produit/lysistrata-mon-amour-matei-visniec/



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire