« Elle se sentait plus en sécurité à l'écart. Loin dans les bois. Là où aucun homme, pas même de sa famille – surtout pas de sa famille – ne pourrait poser la main sur elle sans son accord. » Une jeune fille mutique, vêtue d’une peau de loup qui lui vaut son surnom, vit seule, comme bien d’autres individus en rupture de ban, dans un abri « dissimulé dans un renfoncement du terrain protégé des vents et de la vue par la muraille naturelle ». Pourtant le refuge des « Exilés », la forêt, est menacé : les arbres adultes sont méthodiquement abattus, coupés ras, sur des dizaines d’arpents. « Les légendes des villages qui disaient le massif habité et sauvage ne suffiraient plus à le protéger. »
Rapports de police, notes d’un médecin et autres documents d’archives, cités à chaque début de chapitre, nous renseignent sur cette époque – les années 1660 – où le pouvoir royal a restreint drastiquement les droits d’usage, altérant les conditions d’existence des populations, conduisant certains, de plus en plus nombreux, à fuir. Les autorités ont ordonné de quadriller les massifs, de tracer des chemins, d’abattre des milliers d’arbres pour construire « les navires indispensables à leur folie guerrière ».
Telle une princesse Mononoké cévenole, la Louve va rallier les habitants de la forêt – jusqu’aux plus inattendus ! – pour marcher contre les soldats qui s’apprêtent à les chasser et terrorisent ceux de la vallée :
« J’ai un couteau,
Et une fronde,
J’ai des griffes et des dents,
Un cœur qui bat de plus en plus fort.
Je suis La Louve,
Je suis l’esprit de la forêt,
Une épine dans leur talon.
Je suis le chat sauvage,
L’aigle qui lacère,
La vautour qui se repaît de leur dépouille.
(…)
Je
Suis
La Forêt
Qui se défend. »
Mais la violence déployée est telle qu’on se demande, in fine,
« Qui sont les sauvages ?
Ceux qui vivent dans les bois,
Où ceux qui vivent les armes à la main ? »
Illustration d’une contre-histoire de cette époque où « l’évitement de l’État » – comme aurait dit James C. Scott – devenait plus difficile. Antonin Sabot donne la parole à ceux qui ont choisi de vivre à l’écart des « civilisés » et des règles qui leur sont imposées, invisibles et invisibilisés. Il laisse libre court à son imagination en racontant une de ces révoltes si peu documentées. Son écriture gagne en puissance lorsqu’il transcrit les pensées, en vers libres, de son héroïne qui a renoncé à la parole. Une défense de la liberté, de la nature et de l’autonomie qui ne manquera pas de faire écho, chez les lecteurs et les lectrices d’aujourd’hui.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
LA LOUVE
Antonin Sabot
240 pages – 16,50 euros
Éditions Talents hauts – Paris – Août 2024
www.talentshauts.fr/les-heroiques/440-la-louve-9782362666650.html
À partir de 15 ans.
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