Hugues Jallon raconte le temps où le fascisme devient fréquentable, le temps des ambiguïtés et des accommodements qui vont rendre « la promesse fasciste » raisonnable : le temps des salauds.
Le fascisme commence avec des fous, souvent « une bande de cinglés lunatiques » qui proposent « un système général de “désangoissement“ assorti d'une promesse de reprise de souveraineté et de purification du corps social », et d'une « promesse de haine […] destinée à exorciser la hantise d'être remplacé, par les étrangers, mais aussi par les femmes ». Longtemps isolé, il faudra des salauds pour rendre le fascisme réel avant son arrivée au pouvoir. Partant de quelques lignes de Sartre, dans L’Existentialisme est un humanisme, l’auteur explique que les salauds sont des opportunistes qui savent parfaitement ce qu’ils font. Il illustre sa démonstration de citations, de personnalités du monde politique ou intellectuel, sans toutefois les nommer. Ainsi, « un philosophe essayiste, animateur de l'émission sur France Culture », certifie que le fascisme est mort en 1945, bonne nouvelle que les antifascistes ne voudraient toujours pas entendre. Si d’honnêtes tentatives de réétiquetage ont leur pertinence analytique, elles dédouanent avant tout les partis d'extrême droite européens qui tirent tous leurs racines de ceux qui ont été terrassés à la fin de la Seconde Guerre mondiale : « Le fascisme a bien été défait, mais des militants, aidés de quelques intellectuels, se sont chargés de garder la boutique, de repeindre ses façades, voir de changer une partie du mobilier. Et ils ont continué de vendre la même quincaillerie fasciste, évidemment remise au goût du jour. » Ceux qui soutiennent aujourd’hui le contraire n’ont aucune excuse.
Hugues Jallon rappelle, de la célébration de Charles Maurras à l’hommage au Maréchal Pétain, certaines déclarations « ambigües » de Président de la République, ainsi que les discussions et « négociations » discrètes au cours de dîners entre personnalités de droite et d’extrême-droite, la redéfinition de « l’arc républicain » avec la fin de la mise au ban du Rassemblement national. « Les négociateur professionnels le savent : pour qu'une négociation commence, il faut que l'autre camp cesse d'être un ennemi pour devenir un adversaire. » Il conclut que « le fascisme devient fréquentable quand on commence à le fréquenter ».
Il recense également les initiatives des membres du milieu des affaires : ceux qui apportent leur soutien à l'extrême droite pour qu'elle l'emporte, ceux qui la fréquentent et donc la rendent fréquentable, ceux qui se contentent d'observer, tous « avec l'espoir de [la] tenir en laisse ».
Après la « lepénisation » des esprits et des discours, il évoque la « zémmourisation » puis la « trumpisation ». Pour les dirigeants des Républicains, il s’agit de reprendre son langage tout en affichant son opposition à toute alliance, dans une stratégie pathétique. Quant à eux, « les intellectuels n'ont pas l'excuse de ceux qui veulent survivre politiquement ». Leurs attaques contre l’antifascisme et l’antiracisme, y compris de la part d’une partie de la gauche et au sein du monde universitaire, contribuent à rendre le fascisme réel : « en choisissant ses adversaires, on finit par choisir par défaut ses alliés. » Les massacres du 7 octobre et la guerre qui a suivi à Gaza ont fonctionné comme des accélérateurs : le soupçon et l'accusation d'antisémitisme ont servi à disqualifier les prises de position propalestiniennes.
Hugues Jallon revient ensuite sur les tergiversations entre les deux tours des législatives de 2024. « Ne pas tout faire pour barrer l'accès au pouvoir du parti d'extrême droite et tout faire pour maintenir au pouvoir le bloc central : deux actions qui ressemblent à une stratégie cohérente et ordonnée. » Il rappelle comment un président qui vient de perdre deux scrutins entend mener la même politique néolibérale sans aucune majorité : « “Continuer à œuvrer pour l'intérêt supérieur du pays“ ressemble à une opération de maintien de l'ordre. » Inévitablement, cette description l’amène à évoquer le gouvernement Daladier qui, partir de 1938, prend une série de décrets-lois en matière fiscale et sociale, mais aussi contre les étrangers, ainsi que la politique du chancelier Heinrich Brüning qui, au printemps 1930, mène une politique brutale et autoritaire d’austérité.
Son analyse du mécanisme de lutte contre le « sentiment d'anxiété collective qui frappe en premier lieu ceux qui vivent dans la hantise du déclassement », les victimes de l'économie globalisée, est particulièrement intéressant : « Ceux qui parlent la même langue ou reprennent les propositions du parti d'extrême droite ne “marchent pas sur ses plates-bandes“, ne lui adressent pas des “clins d’œil“. Ils réalisent une opération de réassurance. Le fascisme commence à devenir réel quand une promesse de “désangoissement“ se branche sur le “système d’angoissement“ social et individuel patiemment construit par des décennies de politique pro-marché. » Il est rendu « désirable » par l'absence d'avenir dans une société bousculée par le « capitalisme de prédation » et la dévitalisation à petit feu des institutions démocratiques.
État des lieux qui dévoile – si besoin est – toute les ambiguïtés et les petits jeux dangereux auxquels se livrent ceux qui contribuent à rendre « irrésistible » l’ascension » du fascisme, tout en se donnant bonne conscience, faisant mine de le combattre. Hugues Jallon pointe des responsabilités irréfutables.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
LE TEMPS DES SALAUDS
Comment le fascisme devient réel
Hugues Jallon
114 pages – 12 euros
Éditions Divergences – Quimperlé – Septembre 2025
www.editionsdivergences.com/livre/le-temps-des-salauds
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