François-Xavier Verschave retrace les rouages de la Françafrique et ses dérives mafieuses.
De Gaulle, revenant au pouvoir en 1958, décide d’accorder officiellement l’indépendance aux anciennes colonies au sud du Sahara mais charge en même-temps son bras droit Jacques Foccart, responsable du parti gaulliste et de son financement, des services secrets, d’organiser le maintien de la dépendance pour :
conserver un cortège d’États clients qui votent à la suite de la France à l’ONU,
conserver l’accès aux matières premières stratégiques (pétrole, uranium) ou juteuses (cacao, bois, etc),
mettre en place un financement inouï de la vie politique française à travers des prélèvements sur l’aide publique au développement ou la vente des matières premières,
maintenir l’Afrique francophone dans la mouvance anticommuniste, en sous-traitant des États-Unis.
Bien que 80% des français aient voté par référendum pour tourner la page du colonialisme, Foccart a mis en place un système néocolonial en sélectionnant un certain nombre de chefs d’État, des « gouverneurs à la peau noire », en réprimant extrêmement violemment les mouvements indépendantiste, notamment au Cameroun en 1957 et 1970, en assassinant des leaders élus, en procédant massivement à la fraude électorale. Les anciens de l’OAS ont été recyclés dans les polices politiques de ces pays. Le franc CFA a été utilisé pour faire évader les capitaux de ces pays et pour enfler démesurément leur dette. Des « entreprises faux-nez des services français », comme ELF, ont été créées. Bouygues contrôle les services publics en Côte d’Ivoire et Bolloré détient le monopole des transports et de la logistique sur une bonne partie de l’Afrique. L’arme ultime du bouc émissaire est utilisée pour diviser les populations.
Après le réseau Foccart qui agrégeait tous les éléments anticommunistes, de l’extrême droite à la mafia corse, un réseau néogauliste dissident est créé en parallèle en 1970 par Charles Pasqua qui avait été l’initiateur de la French connection aux États-Unis, sous couvert de Pernod-Ricard et au nom des services secrets. Il financera toute la carrière de Jacques Chirac. Puis François Mitterrand obtient une part du gâteau et confie à son fils, Jean-Christophe, un réseau qui ne sera qu’une branche des réseaux Pasqua. À partir de 1989, débute « le conflit des anciens et des modernes » qui culminera avec l’Angolagate.
Après cette rapide présentation historique, François-Xavier Verschave raconte comment Denis Sassou Nguesso, pétrodictateur du Congo-Brazzaville depuis le milieu des années 1970, captait 17% de l’argent du pétrole déclaré. Il a été victime d’une « poussée démocratique » au début des années 1990. La Françafrique tentera, en vain, un coup d’État dont la preuve sera retrouvée dans le coffre-fort d’Elf lors d’une perquisition ! En 1997, un début de guerre civile le ramène au pouvoir et en 1999, il ordonne une série de crimes contre l’humanité. À la suite de quoi, Bernard Courcelle deviendra le directeur de sa garde présidentielle, ancien officier de la Sécurité militaire française, ancien grade du corps d’Anne Pingeot lorsqu’elle était conservatrice du Musée d’Orsay, ancien directeur du DPS (sur recommandation de l’Élysée), la garde présidentielle de Jean-Marie Le Pen.
En Angola, pays en guerre civile depuis son indépendance en 1975 et qui possède de gigantesques gisements pétroliers au large de ses côtes, la France et Elf armaient les deux parties en conflit. Le pétrole est partagé en Total-Elf (42,5%), une firme américaine ou britannique (42,5% également) et le vendeur d’armes Pierre Falcone (10%). Le pétrole et les armes sont les secteurs qui génèrent les plus grosses commissions (de 20 à 50%) et cette corruption transite par les paradis fiscaux.
Désormais, les réseaux qui étaient jusqu’à présent parallèles et organisés par chaque pays, sont mis en connexion.
Au début des années 1990, en l’espace de trois ou quatre ans, le stock des richesses stratégiques de l’ex-URSS (engrais, pétrole, diamants aluminium, etc) a été liquidé à 10% de sa valeur, avec la complicité de la banque BNP-Paribas, afin de constituer, avec la différence, une somme au noir d’environ cinq cents milliards de dollars, trésor de guerre de la mafia russe qui a permis de racheter l’économie russe, une partie de la Côte d’Azur, la plus vieille banque américaine…
« Aujourd’hui, on estime que la moitié des transactions financières mondiales passent pas les paradis fiscaux. » « Les paradis fiscaux sont, comme l’explique le juge Jean de Maillard, des « mondes sans lois », une espèce de trou noir où on est en train d’effondrer l’ensemble des mécanismes de protection du conquis depuis cent cinquante ans (droit du travail, lois sociales et environnementales, etc.), à travers la possibilité offerte de ne plus respecter aucune règles, et en particuliers de ne plus payer aucun impôt. »
En conclusion, il appelle à construire des biens publics à l’échelle mondiale. Interdire les paradis fiscaux n’est qu’une question de volonté politique. Puis, suite à cette conférence prononcée en 2003 à Aubervilliers, il répond aux questions des éducateurs à qui il s’adressait. Il rappelle ainsi qu’en 1948 la conférence de Genève a établi une convention interdisant le génocide tout en faisant en sorte qu’elle soit inapplicable. Ce sont les juristes et les magistrats qui se sont ensuite battus pour fonder la Cour pénale internationale. Il rappelle le modèle d’architecture des phénomènes mondiaux en trois niveaux, décrit par l’historien Fernand Braudel : l’étage inférieur qui concerne l’intime et le familiale, l’étage médian, celui du quotidien de la plupart des gens et des règles du jeu, l’étage supérieur où l’obsession des acteurs est de ne plus pratiquer aucune déontologie, de ne plus suivre aucune règle. Dans une société en ballon de rugby, l’étage central s’est dilaté : un certain nombre de gens enfermé à l’étage inférieur ont pu y accéder tandis que l’étage supérieur est contenu par des contre-pouvoirs. Dans une société en sablier, il n’y a plus que des très pauvres et des très riches, avec une violence extrême. La colonisation et l’esclavage ont crevé le ballon de rugby en hypertrophiant la solidarité du rez-de-chaussée. L’indépendance aurait du reconstruire l’étage intermédiaire mais la néocolonisation l’a empêché.
Il accuse les journalistes français de « désinformation stratégique » en échange d’informations fournies par les services de renseignements et dénonce les « deux principaux poisons néocoloniaux : la soi-disant fatalité de la corruption et l’instrumentalisation de l’ethnisme ». Le jour où les Africains mesureront l’ensemble des ressources dynamiques et des anticorps dont ils disposent contre ces poisons, ce jour-là, ils gagneront une force considérable, et ils enverront promener tous ces mécanismes qui les oppressent. »
Il cite également Castoriadis qui expliquait comment chacun est révolté dans son coin mais qu’à certains de moments de l’histoire, ces colères se connectent. « Le problème de la mise en accord des indignations, c’est à cela qu’il faut travailler. »
François-Xavier Verschave répète à plusieurs reprises que ses autres ouvrages abordent plus profondément ces questions, ce qui, bien évidemment, ne peut que donner envie de s’y plonger. D’autant que ce condensé est déjà fort éclairant.
DE LA FRANÇAFRIQUE À LA MAFIAFRIQUE
François-Xavier Verschave
82 pages – 3 euros
Éditions Tribord – Collection « Flibuste » – Mons (Belgique) – Mai 2016
Conférence prononcée le 3 décembre 2003 à Aubervilliers (93) devant 200 éducateurs spécialisés.
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