Tranches de vies d’artistes latino-américains, en exil. Les personnages se croisent. Le narrateur, double fictionnel de l’auteur, écrivain espagnol sur les traces de Jean Seberg dont il prépare la biographie, les côtoie dans l’effervescence culturelle parisienne et découvre leur histoire par bribes. Traqués par Devos, ancien colonel tortionnaire en Algérie et membre de l’OAS reclassé au ministère de l’Intérieur, collectionneur d’art, passion qu’il partage avec Steve Rogers, agent de la CIA, certains doivent se cacher, d’autres sont retrouvés dans la Seine ou défenestrés. Originaire d’Argentine, du Chili, d’Uruguay, du Mexique, ils ont fuit les dictatures et leurs tortures.
En donnant la parole aux vaincus, Angel de la Calle raconte comment l’impérialisme américain menait une guerre sous tous les fronts dans les années 1970, y compris sur celui de la culture : « Vous vous souvenez de la photo de Matisse alité, vieux et souffrant ? Ça, c’est l’art européen ! Et celle de Jackson Pollock, fort et sauvage, en train de danser sur ses toiles ? Ces deux photos ne sont pas innocentes, elles participent au processus de démolition de l’art qui n’est pas produit aux États-Unis. » Ceux qui voulaient surmonter le sous-développement par la Révolution ont trouvé sur leur route les promoteurs de « l’alliance pour le progrès » qui voulaient imposer leurs investissements pour leurs seuls bénéfices, leurs méthodes brutales. Ces artistes épris de justice ont pris les armes parce que la peinture ne pouvait plus répondre face aux stades qui se remplissaient de prisonniers. Ils ont fuit le coup d’État au Chili, la répression après l’assassinat des étudiants sur la place du Tlatelolco à Mexico, les geôles de l’école de mécanique de la marine en Argentine, la junte Uruguay, mais les persécutions les poursuivent pour faire taire leurs dénonciations.
Cette histoire, polyphonique, de leur échec à libérer une seconde fois leur continent, mêlée habilement à celle de Jean Seberg, symbole d’une autre jeunesse en lutte, montre qu’humainement, ils ont vaincu car l’histoire retiendra leur combat et condamnera celui de leurs bourreaux.
Le roman de Philip K. Dick, « Le Maître du Haut-Château » qui ne quitte jamais le narrateur, est un clin d’oeil qui ne cesse d’interpeler le lecteur sur les frontières entre fiction et réalité. Tout comme les références au roman de Julio Cortázar, « Marelle », sont l’aveu de tout ce que cette bande dessinée lui doit. La trame des récits développe avec ces deux oeuvres une véritable mise en abyme.
Fresque historique et auto-fiction, « Peintures de guerre » est une revanche sur l’Histoire, écrite par les vainqueurs.
PEINTURES DE GUERRE
Angel de la Calle
308 pages – 27 euros
Éditions Otium – Ivry-sur-Seine – Mars 2018
Première publication en Espagne, Reino de Cordelia, 2017
Du même auteur :
TINA MODOTTI
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