Irene – prononcer « Iréné » – raconte l’histoire de femmes contraintes de faire usage de la violence pour se défendre, pour survivre, pour résister au patriarcat. Aux reproches faits aux féministes d’être « trop agressives », « trop extrémistes », elle répond que « face a un système qui maltraite et peut aller jusqu'à tuer les femmes, riposter avec violence est vital, légitime et nécessaire ».
Ainsi, elle évoque plusieurs personnalités, parfois méconnues ou oubliées, pour étayer son propos :
Artemisia Gentileschi, peintre romaine née en 1593, qui a peint la version la plus saisissante, la plus sanglante de Judith décapitant Holopherne, alors qu’elle a 19 ans. De nombreux historiens de l’art y ont vu un écho au viol que lui a infligé son précepteur quelques mois plus tôt.
Lisbeth Salander, héroïne de la trilogie de Stieg Larsson, Millenium, victime de violences sidérantes, qui se défend et se venge de ses agresseurs : « Elle, nous dit que nous avons le droit de riposter. Que nous n’avons pas à chercher à donner une bonne image. Que le patriarcat se détruit de manière littérale. En crachant, en cassant des genoux et en déversant des litres de kérosène. »
Valerie Solanas décrit dans Scum Manifesto, sa profonde détestation des hommes et défend l’idée d’une société dystopique dans laquelle les femmes domineraient le monde et feraient disparaître les mâles. Sans toutefois s’en revendiquer, Irene reconnait à cet essai un intérêt pour sa réflexion sur la pensée de la violence au sein du féminisme.
- Ita, sa propre grand-mère qui menaça son mari de le tuer dans son sommeil, alors qu’il venait de la frapper, à une époque où la dictature franquiste ne reconnaissait pas les violences faites aux femmes et interdisait le divorce. Pour contrer des rapports d’oppression injustes et intolérable, elle n’a jamais hésité à faire usage de la seule solution à sa portée : la violence.
- Ana Orantes, une femme de soixante ans, qui a témoigné en 1997 en direct à la télévision espagnole, de quatre décennies de violences conjugales. Treize jours plus tard, son ex-mari avec qui la justice lui a imposé de partager le domicile conjugal, l’immole par le feu. En dénonçant publiquement sa condition elle a essayé de sensibiliser l’opinion, pacifiquement. Sa mort aura au moins permis que les médias espagnols repensent leur façon de traiter les violences conjugales, prenant vingt ans d'avance sur les médias étrangers.
- D’autres, au contraire, ont choisi de riposter :
- María del Carmen Garcia a brûlé vif l’homme qui lui demandait impunément, dans la rue, des nouvelles de ses filles, alors qu’il avait été condamné pour avoir violé l’une d’elles.
- Jacqueline Sauvage a abattu son époux après quarante-sept ans de mauvais traitements. La médiatisation de son affaire lui permettra d’être graciée, faute d’avoir été acquittée pour légitime défense, alors que la violence subie est tout sauf ponctuelle.
- Fatiha Taoui, Bernadette Dimet, comme les soixante-dix-huit femmes victimes de violences conjugales qui ont assassiné, entre 2012 et 2018, l'homme qui les maltraitait n’ont un pas eu cette chance.
« Il existe des femmes qui ont tué pour ne pas mourir. Des femmes qui ont tué pour obtenir la justice que le système judiciaire bourgeois, blanc et patriarcal leur refuse. Je ne dis pas que cela est bien. Je ne dis pas que cela est mal. Je dis que cela est. Et sera. Je dis que nier ces faits, c’est cacher une partie de notre histoire. Effacer les histoires de ces femmes revient à les silencier une fois de plus. » « Dans le système patriarcal, les hommes exercent la violence pour marquer leur statut dominant. Il ne s'agit pas de savoir si tous les hommes sont des violeurs ou des meurtriers, mais d'accepter que le système leur donne la possibilité de l’être et ce sans nécessairement risquer grand-chose. » « Le patriarcat est violent par essence. Et sa destruction le sera aussi. […] Mais à la différence du patriarcat, la violence féministe n’est pas oppressive. Elle est subversive. La violence comme outil du féminisme est tout simplement un moyen d’autodéfense, un moyen de survie. Et c’est bel et bien un moyen, et non pas une fin. »
Irene rappelle l’analyse de Peter Gelderloos qui montre comment la pratique de la non-violence est un recours privilégié, raciste, patriarcal et étatiste. « Le féminisme est violent car il veut en finir avec les inégalités, et cela implique non seulement d'en finir avec les privilèges et de détruire les structures institutionnelles qui les rendent possibles, mais également d’attaquer l'imaginaire collectif qui permet de blanchir comme “normalité“ les mécanismes de domination qui soumettent les femmes. » Elle revient sur l’histoire des suffragettes qui, lasses de réclamer l'obtention du droit de vote au Royaume-Uni en faisant usage des moyens habituels, ont adopté l'action directe. Elsa Dorlin explique dans Se défendre que « “passer à la violence“ – celle de l'action directe et de la revendication sans compromission – est aussi inextricablement lié au constat que la revendication d'une égalité civile et civique ne peut être adressée pacifiquement à l'État puisque que ce dernier est le principal instigateur des inégalités. » « Mener un mouvement politique basé sur les stratégies traditionnelles, socialement acceptées et, surtout, légales, revient à demander à l'opposant sa permission, son autorisation et sa validation pour lutter contre son oppression, voir contre son existence même. Cela n'a aucun sens, ni d'un point de vu philosophique, ni en matière de stratégie politique. »
Sont également évoquées l'adolescente saoudienne Noura Husein condamnée à mort pour avoir mortellement poignardé celui à qui elle avait été mariée de force et qui l'avait violée, le groupe féministe allemand Rote Zora qui aurait commis une cinquantaine d'attentats entre 1975 et 1995, Diana, la cazadora de chóferes, qui assassina des chauffeurs de bus responsables de viols et de féminicides, en toute impunité, dans la ville de Ciudad Juárez, au Mexique.
En conclusion, Irene explique qu'elle ne se bat pas pour être « égale aux hommes » mais pour détruire l’oppression : « Mon but n'est pas d’octroyer aux femmes la possibilité d'opprimer autant que les hommes blancs. En temps que féministe, je ne me bats pas pour donner du pouvoir aux femmes, mais bien pour détruire le pouvoir. » Avec ce manifeste extrêmement accessible (et convainquant) grâce aux nombreux exemples qui l’illustrent, Irene nourrit un débat trop souvent évité et pose les bonnes questions.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
LA TERREUR FÉMINISTE
Petit éloge du féminisme extrémiste
Irene
130 pages – 14 euros
Éditions Divergences – Paris – Février 2021
www.editionsdivergences.com/livre/la-terreur-feministe
De la même auteure :
Contribution à DÉFAIRE LA POLICE
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