1 avril 2022

UNE HISTOIRE SOCIALE ET POLITIQUE DE LA CONQUÊTE DE L’ALGÉRIE

Romain Bonnel et François Cerutti reviennent sur le contexte historique, économique et social qui a poussé le gouvernement français de Charles X a lancer l’opération de conquête de l’Algérie, et décrivent cette « logique coloniale qui consiste à instaurer un rapport de force contre celles et ceux qui auraient manqué à leur devoir de développement universel ».

Au XIVe et XVe siècle, le Maghreb subit un profond bouleversement : la période d’essor favorisé par le trafic d’or entre les royaumes soudanais et l’Orient, s’interrompt lorsque celui-ci évite le Maghreb en traversant Égypte. Les populations appauvries se regroupent en communautés agricoles, villageoises ou tribales, qui parviennent à être autonomes dans la production de blé, l’élevage de troupeaux qui se nourrissent sur des zones de pâturage mises en commun. Après la chute de Grenade en 1492, les andalous juifs et musulmans fuient la péninsule ibérique. Parallèlement aux incursions espagnol à partir du XVIe siècle, l'Empire ottoman étend son influence à travers les frères Barberousse, pirates combattant sous la bannière du Croissant et qui fondent la Régence d'Alger en 1519, sorte d’ « État provisoire » regroupant un ensemble de peuples autochtones. Les villes se développent. Alger devient le port le plus puissant de la rive sud de la Méditerranée. Au XIXe siècle, les querelles de pouvoir avec l'empire se multiplient et la Régence gagne en indépendance.
Après un premier achat massif de blé à la Régence d'Alger en 1788, suite la destruction des récoltes en France par un phénomène climatique, le Directoire, dans le cadre de la campagne d'Égypte menée par Napoléon Bonaparte, procède à une seconde transaction en 1798. Aucune ne sera entièrement payée par le gouvernement français. Un conflit éclate entre le Dey Hussein et l'État français, jusqu'en 1827 où le premier aurait asséné un coup d'éventail au consul de France, prétexte entraînant le blocus du port d’Alger. En 1829, le bombardement d'un navire Français justifie cette fois l'attaque de la ville. Le 14 juin 1830, l'armée française débarque et commence sa conquête.
 
À la fin du Premier l’Empire, après la vente de la « Nouvelle France » aux États-Unis par Napoléon, la France ne dispose plus d’un vaste territoire colonial, contrairement au Royaume-Uni. Mais la monarchie et les familles de riches marchands ont accumulé de vastes fortunes avec l’exploitation des « vieilles colonies » : les Antilles, qui fournissent du sucre, le Sénégal, des esclaves et Saint-Pierre-et-Miquelon, la morue. Ils deviennent les principaux investisseurs de l'industrie naissante. Le développement technologique transforme le monde et les rapports de production. L'apparition des machines provoque du chômage et dépossède les artisans de leurs savoir-faire et de leurs savoir-être. « Le changement de mode de vie avec le passage d'un enracinement dans des communautés locales, de taille souvent réduite, à des métropoles industrielles érigées pour les nouveaux prolétaires est conséquent. L'enjeu n'est pas seulement l'emploi mais surtout le contrôle. » Les communautés villageoises organisées en économie de subsistance, autour de la jouissance de biens communs, sont chassées vers les villes par le développement de la propriété privée, après l'abolition des droits féodaux. La population parisienne doublera entre 1801 et 1851. Les auteurs établissent un parallèle entre les dépossessions subies par beaucoup de Français, contre leur « environnement fait d’interdépendances », les biens communaux et leur « manière de vivre », et celles imposées aux Algériens : « Dans les deux cas, des organisations collectives durables et autonomes combattent une forme de colonisation. » Ils racontent comment la violente éruption du volcan Tambora, en Indonésie, provoque un « hiver volcanique » en 1816, responsable de mauvaises récoltes et donc de disette. La réforme du code forestier en 1827, mis en application en 1829, transforme la forêt en richesse à exploiter, au profit des maîtres des forges, privant nombre d'habitants de leurs droits d’usage. Un mouvement de rébellion, le soulèvement des « Demoiselles » , se répand à partir de l’Ariège. Les troubles se poursuivront jusqu'en 1871. En juillet 1830, Charles X suspens la liberté de la presse qui s'oppose en partie à la guerre coloniale, dissout la Chambre des députés, élimine la bourgeoisie citadine du corps électoral, poussant des milliers de Parisiens à prendre les armes et couvrir la capitale de barricades, mettant en lumière une classe ouvrière, « prête à disputer aux bourgeois le pouvoir dont ils se sont emparés grâce à elle » : la Restauration est renversée. La bourgeoisie libérale, représentée par Adolphe Thiers, préoccupée par ces « classes dangereuses », en appelle au duc d'Orléans qui est proclamé roi sous le nom de Louis-Philippe Ier.

Romain Bonnel et François Cerutti racontent ensuite l’intervention militaire en Algérie, justifiée par les pirates barbaresques et l'esclavage des chrétiens, pratiques devenues extrêmement rares et interdites depuis 1818. Aimé-Benoit Seillière et Adolphe Schneider assurent la logistique de l’expédition. La production d'un discours spécifique sur l’Orient, l’orientalisme, qui se veut scientifique, nourrit un imaginaire et légitime la domination impériale : « l'Occident a “produit“ l’Orient comme figure d'un discours et d'une réalité à dominer ». Le plus grand « hold-up » du XIXe siècle, celui du trésor de la régence d’Alger, est étouffé, puis ignoré par les historiens pendant plus d'un siècle. Estimé à au moins 150 millions de francs, dont une grosse partie a été confiée à la maison Seillière, laquelle acquiert en 1835, avec les Schneider, les forges du Creusot.
La résistance algérienne s'est organisée extrêmement rapidement, puisque dès le 23 juillet 1830 les chefs de village se réunissent. Abd el-Kader, nommé émir en 1832, met en déroute les troupes françaises, composées en majorité d’appelés, hommes tirés au sort et engagés pour sept ans à partir de 1832. En mars 1831 est créée la légion étrangère. En 1841, le général Burgeaud est nommé gouverneur général et entreprend de soumettre et razzier le pays, de terroriser les populations et pourchasser l'ennemi sans répit ni merci.
S'il n'est pas question de colonisation de peuplement au départ, une incitation à l’émigration de plusieurs milliers de Parisiens, avec promesse d’une concession agricole, est mise en place par le préfet de Paris, dès l’hiver 1830-1831. L’idée ne s’impose véritablement qu’en 1848, après la reddition d’Abd el-Kader. Nombre d'ouvriers au chômage, de proscrits des révoltes ouvrières et de petits paysans ruinés en profitent pour fuir la misère sociale qui s'est développée dans la France en cours d’industrialisation.
En dépit des particularismes présents sur tout le territoire algérien, « la France impose son délire universaliste en instaurant ses principes juridiques, ses institutions et ses dispositifs techniques », le tout sous l'emprise militaire.

Deux idéologies cohabitent au sein de l'administration coloniale : le modèle d’ « assimilation-fusion » prône l'appropriation du corps des femmes indigènes par les colons, tandis que le modèle de « limitation-contrôle-association » rejette les couples mixtes. Les auteurs montrent comment le corps des femmes est instrumentalisé par des représentations culturalistes et essentialistes, la prostitution administrée et ségréguée.

Ils démontrent également combien les arguments de certains anticolonialistes relèvent du racisme. Chez les précurseurs du socialisme (saint-Simon, Fourier, etc.), la colonisation est justifiée au nom d'une « mission civilisatrice ».

Romain Bonnel et François Cerutti établissent une continuité idéologique entre le processus de destruction, de séparation puis d'accaparement des communautés vivant de manière relativement autonome sur le territoire français, avec l’implantation, ensuite, de colonies agricoles et la mise en place d'une administration brutale et omnipotente, en Algérie. Au-delà d’un rappel des événements historiques finalement assez méconnus voire régulièrement falsifiés, ils replacent la conquête de l'Algérie dans un contexte plus général de bouleversement anthropologique. Cette analyse permet de relier des résistances au-delà de leur simple cadre national et de mettre en évidence le processus à l’oeuvre de développement du capitalisme.


Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


 

UNE HISTOIRE SOCIALE ET POLITIQUE DE LA CONQUÊTE DE L’ALGÉRIE
De la guerre des Demoiselles à la reddition d’Abd el-Kader
Romain Bonnel et François Cerutti
146 pages – 10 euros
Terrasses éditions – Marseille – Janvier 2022
terrasses.net/index.php/2021/10/21/une-histoire-sociale-et-politique-de-la-conquete-de-lalgerie-par-la-france-en-librairie-le-14-01-22/

 

Voir aussi :

UTOPIES PIRATES - Corsaires maures et Renegados d’Europe

PETITE HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES - Tome 2 : l’Empire




 

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