4 août 2022

DESSOUS LA DURE ÉCORCE

« Gilbert Cartal avait eu une vie à lui, ensevelie sous les ciment, sous le béton, sous les cendres du temps consumé au travail. Dessous la dure écorce grouillait une vie entière. » Mais le bitume qu’il avait inhalé à raison de trente neuf heures par semaine l’a rattrapé, avec ce cancer qui le ronge, tout comme il menace le paysage d’enfance dans lequel a grandi sa fille, engagée dans le combat contre un projet de double-voie qui propose de détruire le massif du Meygal, en Haute-Loire. Leurs luttes respectives s’avèreront irrémédiablement liées.
Louise Pommeret a construit son roman sur ce parallèle quasiment métaphorique entre la lutte contre la maladie et la lutte contre un projet inutile : deux résistances désespérées. Non seulement le principe fonctionne (fort bien même) mais il lui permet de dérouler habilement son argumentaire contre ce chantier bien réel : « En vérité ils ne voulaient pas que ça ralentisse, ils avaient de grosses entreprises à mettre au travail, un réseau de clientèle politique à entretenir. » « La légalité portait une part de tromperie, de verrouillage des possibles, elle ne contenait pas toute la vérité, ni toute la justice. »
D’autres causes traversent en toile de fond cette double histoire de « zones à défendre » : les Gilets jaunes avec le souvenir de cette préfecture incendiée, les mineurs isolés frappés d’OQTF. Le rôle des écologistes de partis est sérieusement mis à mal, « caution de faux débat démocratique ». Les tactiques du blocage et du sabotage sont longuement débattues et défendues, notamment à l’aide des prises de position d’Erri De Luca à l’occasion de la lutte No TAV. La notion d’enracinement, chère à Simone Weil, traverse le texte de part en part et justifie la défense d’un petit bout de terre où l’on a posé ses bagages et où l’on construit pour soi et avec les autres, « dans une même intuition de l’avenir ». Le travail sert aussi souvent de prétexte à réflexions : « Aujourd'hui, le temps libre lui faisait dégoût rien que d'y penser, il aurait fallu l'appeler autrement – temps concédé, temps autorisé, temps toléré – mais la liberté, elle n'avait rien à faire là-dedans ; le temps libre, c'était la miette accordée en échange de leur consentement. »

Louise Pommeret convainc avec cette histoire de terroir à défendre et de corps meurtri par le labeur et la maladie. De la littérature de combat !

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

 

DESSOUS LA DURE ÉCORCE
Louise Pommeret
288 pages – 21 euros
Éditions de l’Aube – Collection Regards croisés – La Tour d’Aigues – Mai 2022
editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/dessous-la-dure-ecorce-2/

 

Voir aussi :

LA PAROLE CONTRAIRE

NOUS SOMMES LES CHARDONS




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