Si l’article 3 de la convention d’armistice du 22 juin 1940 stipule que « le gouvernement français s’engage à faciliter, par tous les moyens, les réglementations relatives à l’exercice [des droits de la puissance occupante] et à leur mise en exécution avec le concours de l’administration française », l’article 4 exempte de ces obligations « les troupes nécessaires au maintien de l’ordre intérieur ». Pourtant, dès l’été 1940, l’administration de Vichy appliquera sans nuance cet engagement, contre les communistes, les francs-maçons et les gaullistes, sans que l’aient encore exigé les autorités allemandes. « Les lois émanant de l'État français de Pétain sont, au départ, plus répressives que les premières ordonnances nazies. » Ainsi la définition du « Juif » des nazies désigne « ceux qui appartiennent ou appartenaient à la religion juive, ou qui ont plus de deux grands-parents juifs » (1ère ordonnance du 27 septembre 1940), tandis que pour Vichy est juive « toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de même race si son conjoint lui-même est juif », c’est-à-dire selon un critère racial et non pas religieux. La police française aura peu de problèmes de conscience lorsque lui sera confiée la mission d’enregistrer les juifs contraint de venir se déclarer, et d'apposer un cachet sur leur carte d’identité. Dans son Commentaire du statut des juifs, Christian Renaudin insiste, sans aucun complexe, sur la nécessité d’exclure ces hommes et ces femmes : « L'influence israélite dans les affaires d'un pays est nuisible à ses facultés de grandeur, au maintien de son patrimoine moral. » « Le policier n’est donc pas tiraillé entre des lois et des ordonnances d’origine différentes. Le vainqueur et le vaincu empruntent des voies parallèles. »
Maurice Rajsfus énumère les mesures prises successivement à l’encontre des juifs : obligation de déclaration des commerces juifs puis liquidation des entreprises juives, confiscation des postes de TSF appartenant aux Juifs puis interdiction de conserver leurs postes de téléphone, couvre feu à partir du 7 février 1942, puis port de l’étoile jaune à partir du 7 juin, interdiction de fréquenter certains établissements ouverts au public.
Il revient aussi sur les nombreuses décisions de marquer les Juifs dans l'Europe médiévale, depuis l'obligation de porter un sceaux figurant une rouelle imposée par une ordonnance de Philippe Auguste en 1206. Il raconte avec force détails la mise en place de la huitième ordonnance, signalant jusqu’au nom du fournisseurs des 700 kilos de tissus, de l’imprimeur et du façonnier. Les Renseignements généraux craignent des réactions de la part de la population parisienne, notamment des manifestations de solidarité de la part d'étudiants ou de communistes « aryens » décidés à arborer des insignes juifs en signe de solidarité, aussi, le 7 juin, « dès l’aube, les fins limiers de la police française seront sur le pied de la guerre raciale, dans la dignité et dans l’honneur… ». De nombreux rapports et des mains courantes témoignent de la traque aux réfractaires, avec la multiplication des contrôles d'identité au faciès, tandis que les manifestations antisémites organisées par des groupes fascistes ne sont pas réprimées. Seuls 38 contestataires seront interpellés (que l’auteur présente pour la plupart), il faut donc se rabattre sur d'autres infractions : en quelques mois près de 300 personnes seront arrêtées au hasard, et déportées, alors qu'il était si aisé pour les policiers de détourner le regard. Une revue de presse montre le déchaînement de celle-ci et les archives prouvent que jusqu’à la première semaine d’aout 1944, le zèle policier ne faiblit pas, malgré le débarquement en Normandie et les victoires des armées russes sur le front de l’Est. Au nom de la volonté « d’union sacrée oublieuse du passé récent », une véritable absolution de la police est organisée et le 19 août, ordre leur est donné de se ranger aux côtés des FFI. Peu seront inquiétés et le 12 octobre, le Général de Gaulle décore la police parisienne de l’ordre de la fourragère rouge !
Comme à son habitude, Maurice Rajsfus a réalisé ici une enquête exhaustive et implacable.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
OPÉRATION ÉTOILE JAUNE
Maurice Rajsfus
216 pages – 14,90 euros
Éditions du Détour – Paris – Mars 2022
editionsdudetour.com/index.php/les-livres/operation-etoile-jaune/
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