Le 29 mars 1988, Dulcie September, la représentante de l’ANC pour la France, est assassinée à bout portant, rue des Petites-écuries, à Paris. Pendant dix ans, Benoît Collombat, journaliste à la Cellule investigation de Radio France a accumulé de la documentation, enquêté, interrogé ses proches, rencontré ceux qui l’ont croisée ou approchée, militants anti-apartheid, proches collaborateurs mais aussi anciens employés d’entreprises stratégiques (EDF, SEP, filiale de la SNECMA, etc), pour comprendre quelles informations elle pouvait détenir, inquiétant certains au point de chercher à la faire taire.
Il revient sur son enfance, montre qu’elle n’a jamais accepté les règles qu’on lui imposait. Assignée à résidence alors qu’elle est enseignante (et militante), elle préfère l’exil, qui représente un bannissement à vie, et débarque tout d’abord à Londres où elle devient responsable de la ligue des femmes de l’ANC. Il raconte l’histoire récente de l’Afrique de Sud, depuis l’instauration de l’Apartheid en 1948, après la prise du pouvoir par les Afrikaners, celle du principal mouvement d’opposition et de ses leaders, et aussi celle des relations très ambiguës avec la France, notamment après l’arrivée de François Mitterand au pouvoir qui devait afficher un discours antiraciste fort pour faire oublier l’ampleur de la marche des Beurs, tout en veillant à ne pas nuire à « la bonne santé économiques » des entreprises françaises.
Malgré l’embargo international, la France entretenait des relations commerciales avec le régime raciste d’Afrique du Sud, notamment en matière d’armement et de coopération nucléaire. L’île de la Réunion servait de pivot aux livraisons discrètes de matériels stratégiques nécessaires à la fabrication des bombes atomiques, après transit par Israël.
L’enquête française s’est soldée par un non-lieu en 1992, sans que les coupables soient identifiés. Fausses pistes, écrans de fumée, rumeurs entretenues pas les services secrets, sociétés suspectes installées à proximité des bureaux de l’ANC (dont le loyer est payé par le Parti socialiste !), membres de la garde présidentielle des Comores, dirigée par Bob Denard – qui semble décidément lié à beaucoup d’ « affaires » de la Ve République –, Benoît Collombat explore chaque indice pour tenter de démêler l’écheveau. Bien qu’alertées des menaces qui pesaient sur elle, les autorités françaises ne l’ont pas mise sous protection.
Les illustrations en noir et blanc de Grégory Mardon permettent de mettre des visages sur des noms et rendent la lecture plus aisée que celle d’un simple essai documentaire. En reprenant des articles de journaux, des cartes ou des affiches, il prend en charge une partie de l’information et allège ainsi le texte déjà très dense.
« Le fascisme n'est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution en temps de crise. » Cette citation de Bertold Brecht, fameuse, a été mise en exergue de cet ouvrage, lui donnant une toute autre portée, notamment aujourd’hui où ressort de son placard « la bête immonde » (voir LA RÉSISTIBLE ASCENSION D’ARTURO UI) : les malversations pour « raison d’État » dans des pays supposés démocratiques, seraient le premier pas vers le totalitarisme, en sanctuarisant et opacifiant, hors de tout contrôle, les liens entre les sphères économiques et politiques.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
DULCIE
Du cap à Paris, enquête sur l’assassinat d’une militante anti-apartheid
Benoît Collombat et Grégory Mardon
304 pages – 26 euros
Éditions Futuropolis – Paris – Novembre 2023
www.futuropolis.fr/9782754834513/dulcie.html
De Benoît Collombat :
CHER PAYS DE NOTRE ENFANCE
LE CHOIX DU CHÔMAGE
SARKOZY KADHAFI - Des Billets et des bombes
De Grégory Mardon
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