Las de continuer « à jouer les pourfendeurs de l’injustice » et sentant que les évènements poussent l’histoire dans une direction qui lui sera « franchement défavorable », que « l’heure de la révolution conservatrice a sonné », que « toute opposition est futile », le sociologue Mark Fortier, dans un ultime réflexe de survie », se fait violence et entreprend sa conversion au fascisme. Avec cette satyre, il entend dresser un état des lieux d’une société en décomposition.
Il comprend combien « les électeurs de l'extrême droite méprisent les “maîtres de l'usage de la parole“, enseignants, écrivains, journalistes, avocats, hauts fonctionnaires, tous boursouflés d'orgueil et de leur distinction sociale », et que les démagogues d’extrême droite se servent de « cette rogne pour asséner le coup de grâce aux institutions, pour imposer universellement l'impartialité et les préjugés, la fureur et le ressentiment, l'impatience et les certitudes, puis les lancer à l'assaut de ceux qui détiennent le pouvoir qu'ils convoitent ». Ainsi, Giorgia Meloni souhaite une réforme pour renforcer le pouvoir du chef de l'exécutif, pendant de la loi Acerbo de juillet 1923, l'une des premières mesures de Mussolini, visant à « simplifier » la démocratie. Javier Milei a obtenu le droit de gouverner par décret, sans passer par le Parlement, pour une année. Victor Orbán, nostalgique de la grande Hongrie d’avant 1920, a supprimé le ministère de l'Éducation dès sa prise de fonction en 2010, puis gelé le salaire des enseignants et aboli leur droit de grève. Aux États-Unis, des livres sont interdits. Le gouverneur de Floride s’emploie à délivrer l'instruction publique de tout endoctrinement progressif et à délivrer les écoliers « de la détresse psychologique causée notamment par l'enseignement de l'histoire de l'esclavage et du racisme ». Partout, la violence verbale se libère et si le passage aux actes ne suit pas encore automatique, il se matérialise déjà. « La mort de l'empathie, le ressentiment et la haine, écrivait Hannah Arendt, sont les signes annonciateur d'une culture sur le point de sombrer dans la barbarie. » Aussi, ne se sentant pas « le caractère d’acier de ce valeureux chinois qui s'était planté devant un char d’assaut, place Tiananmen, en 1989 », Mark Fortier préfère prudemment se « peindre ne brun pour [s]e fondre dans le décor », lâcher prise, puis faire preuve de résilience. Il rappelle comment le fascisme s’est infiltré partout, en Allemagne et en Italie. Alors que des clauses d’éternité ont été ajoutées à la Constitution allemande pour protéger la démocratie, les références au nazisme se multiplient de façon exponentielle.
Dans sa recherche de définition du fascisme, il date son apparition au 20 mars 1919, lors de la création du mouvement de Mussolini à Milan. Étant donné que « son idéologie procède de l'émotion plus que de la réflexion », il doute de parvenir à saisir son identité. Toutefois, les historiens Enzo Traverso, Robert Paxton et Emilio Gentile ont longuement étudié le « fascisme historique » et prennent très au sérieux sa renaissance, en se gardant de la penser comme une simple répétition historique. « La démocratie a été réduite aux élections des gouvernants par les gouvernés. Cet instrument, rappelle l’historien [Emilio Gentile], ne garantit pas les libertés. Il peut tout à fait en résulter une démocratie raciste, autoritaire et xénophobe, comme le démontrent nombre d'exemples. Et c'est bien ce vers quoi nous nous dirigeons. Partout, nous assistons à l'avènement d'une “démocratie de mise en scène“, spectaculaire, télévisuelle, instagrammable, qui conserve les rituels de la méthode démocratique sans son idéal. Une démocratie sans démocratie. »
Les réactions qui ont suivi la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques lui permettent d’identifier un de ses traits de caractère : « la défense des valeurs et des institutions traditionnelles ». Mais il comprend vite que c'est souvent et surtout leur abolition qui est visée. Adorno expliquait que les idées conservatrices sont « le travestissement de désirs répressifs ».
Il pointe ensuite la grossièreté, la forfanterie, la fourberie, l'indécence des leaders populistes, pour la plupart « figures carnavalesques » plutôt qu’héroïques. L'anthropologue Lynda Dematteo a étudié « l'irruption des rites d'inversion carnavalesque sur la scène politique contemporaine », en suivant au quotidien le mouvement la Ligue du Nord, dès le début des années 1990. L'injure et les insultes, par exemple, constituent un extraordinaire moyen d'acquérir de la notoriété, et les déclarations outrancières transforment l’agresseur en agressé. « Le carnaval politique offre aux citoyens une parodie du pouvoir, quand toute critique réfléchie est devenue inopérante. »
Il constate qu’en parallèle, dans ces mêmes années, les démocrates arrivés au pouvoir un peu partout se sont plus appliqués au « changement de soi-même » qu’au changement de la société. « L'éloge de la diversité s'est discrètement substitué à la défense de l'égalité. » « L'idée de l'égalité a été le moteur de l'identité occidentale. On en retrouve partout le cœur battant : de l'invention et de l'élaboration du droit à Rome au christianisme, des révolutions modernes aux conflits entre le travail et le capital. La haine viscérale qu’éprouve la droite radicale pour tout ce qui a trait à cette valeur est au demeurant la preuve par excellence de la posture de ces soi-disant conservateurs. Un signe que ce n'est pas tant l'identité de cette civilisation qui les préoccupe que la conservation des privilèges des possédants. » Il rappelle qu’à la veille des élections de 1936, Roosevelt affirmait « qu’il est tout aussi dangereux d’être gouverné par l’argent organisé que par le crime organisé » et que la force de la démocratie tient à sa capacité à atténuer les injustices économiques.
Il pointe les efforts de la « quête d’une justification morale supérieure à l’égoïsme », selon la formule de John Kenneth Galbraith. Ainsi, l’écrivaine Ayn Rand, égérie de la droite américaine, considérait que l’altruisme, concept immoral, monstrueux et vicieux, mène tout droit au collectivisme. Il s’inquiète aussi, exemples toujours à l’appui, de « la destruction massive du langage » et de l’épuisement des historiens à rectifier les faussetés et manipulations factuelles, d’Éric Zemmour notamment. Umberto Eco expliquait comment le fascisme est une « confusion structurée ». Orwell estimait qu’à partir du moment où on ne croit plus à l’existence d’une réalité objective, la vérité ne peut plus nous rendre libre car les maîtres du vrai sont ceux qui dominent les mots. La « novlangue technocratique », elle aussi, fabrique sa réalité.
Malgré ses efforts appliqués, l’auteur devra constater l’échec de sa « thérapie de conversion » et, revenu à la raison, proposera l’amitié comme ultime rempart contre le fascisme. Nous n’avons pas toujours rendu compte de ses saillies et de son second degré, nous en tenant avant tout aux informations brutes.
L’ironie est une arme redoutable, l’humour, assurément, un facilitateur de transmission. Avec ce pamphlet érudit et drôle, Mark Fortier fournit un outil
sans doute plus efficace qu’un tract ou un essai tout aussi documenté, plus accessible à un public pas encore averti ou convaincu.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
DEVENIR FASCISTE
Ma thérapie de conversion
Mark Fortier
208 pages – 16 euros
Éditions Lux – Collection « Lettres libres » – Montréal – Août2025
luxediteur.com/catalogue/devenir-fasciste/
Voir aussi :

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire