Les raisons de se révolter sont nombreuses et
évidentes. Il ne s’agit plus de critiquer l’ordre existant mais de l’attaquer.
Éric Hazan et Kamo propose une ébauche de plan pour rendre irréversible
l’effondrement du pouvoir, pour éviter le cycle des révolutions ratées et élaborer
un début de commencement.
On trouve trois types de gouvernement : à parti
unique, à pouvoir instable et les « démocraties ». Cette dernière
forme est imposée comme modèle idéal et universel aux autres pays qui doivent
faire mine d’en assimiler les valeurs tout en acceptant le pillage de leurs
ressources et la clochardisation de leur population. Cependant sa légitimité
est contestable tant l’élévation du niveau de vie a finalement régressé, tant
la paix ne cesse d’être éclipsée et tant le pouvoir n’appartient plus au peuple
ni même à ses élus mais bien aux « marchés » qui dictent leurs lois.
Il est donc plus juste de parler désormais de « capitalisme
démocratique ».
Dénoncer ce système cynique, injuste et brutal n’est
pas suffisant. Protester c’est admettre possible des aménagements. La
« lutte contre la crise » tout comme la « guerre contre le
terrorisme » sont des outils politiques, fondés sur la peur du chaos, pour
contrôler les populations. Face à l’argument TINA (There Is No Alternative),
les auteurs de ce manifeste trouvent les partis d’extrême gauche inaudibles et
les réveils des consciences des mouvements des Indignés et d’Occupy
insuffisants car sans effet d’ébranlement. Les émeutiers inquiètent autrement
plus les gouvernements qui les assimilent à des casseurs sans pensée politique,
les répriment lourdement et arbitrairement, pour l’exemple. Ils prônent l’insurrection
dont l’onde de choc se diffusera inévitablement. Ils expliquent le scepticisme
ambiant comme un deuil de l’idée de révolution plutôt qu’une dépolitisation.
Ils jugent réunies en France actuellement les
conditions de l’évaporation du pouvoir sous l’effet d’un soulèvement et d’un
blocage du système. Ils donnent des exemples de soulèvements populaires où
l’opportunité d’en finir avec l’ordre ancien n’a pu être saisi faute de
préparation et, pour éviter cela, énumère quelques propositions.
Ils préconisent d’éviter à tout prix le piège de la
séquence habituelle « révolution populaire – gouvernement provisoire –
élections – réaction ». Pour légitimer un pouvoir fragile, il est tentant
de mettre en place une assemblée constituante et de conserver momentanément les
structures du vieux monde au nom de la peur du chaos, ce qui, rapidement,
enterre la révolution. Il faudra cette fois aller jusqu’au bout en créant
l’irréversible. Il faudra dissiper cette peur et aussi celle de l’inconnu. La
capacité du peuple à s’auto organiser dans des circonstances exceptionnelles
est sous-estimée. La joie surgit plus souvent qu’on ne le croit face à l’inédit
et l’efficacité devient naturelle.
Il faudra murer ou trouver une autre destination
(cantines, crèches, bibliothèques, … ) aux lieux de pouvoir et ne surtout pas
s’y asseoir. L’appareil d’État ne doit pas pouvoir se reconstituer.
Une situation révolutionnaire ne doit pas se résumer
à une réorganisation de la société mais doit aussi et surtout être l’émergence
d’une nouvelle idée de la vie. Il s’agira d’abolir la nécessité individuelle de
« gagner sa vie ». Une nouvelle conception du travail s’inventera en
même temps que l’organisation de la vie collective. L’abolition de l’économie
telle qu’on la connaît se construira dans le partage des tâches et des biens.
L’instauration d’une égalité parfaite est désormais rendue possible en quelques
clics par l’effacement de la totalité des données. L’usage de l’argent sera
renvoyé aux marges car il entretient l’individualisation, l’isolement face aux
besoins, l’absence de vie commune. Le « revenu universel garanti »
aujourd’hui proposé comme « utopie réaliste » maintient ces travers.
L’économie n’est, depuis toujours, qu’une science de s’asservissement et du
contrôle des esclaves. Les auteurs expliquent que lorsqu’il ne s’agira plus
d’engraisser des actionnaires, le travail sera librement choisi d’autant que sa
quantité globale diminuera, réduite au seul travail nécessaire, débarrassé des
tâche répondant à l’impératif de servitude. La répartition de toutes les tâches
entre tous supprimera la ségrégation et la division du travail.
Ils reviennent sur les notions de contrat social, de
coopération et jugent qu’il s’agira également d’abolir l’État qui ne sert à rien
qu’à sa propre reproduction tout en maintenant le peuple à l’écart des
décisions. Le centralisme bureaucratique notamment chasse rapidement toute
tentative d’expérience collective, tout esprit d’invention, au nom de
l’efficacité. Il s’agira de trouver la bonne échelle pour relocaliser les
prises de décision par les humains sur leurs conditions immédiates d’existence,
pour mettre en adéquation les besoins et les moyens de les satisfaire. Les
grandes branches industrielles seront expropriées, nationalisées et
transformées en coopératives ouvrières.
Méditant les échecs du passé, ils mettent en garde
contre le parlementarisme même à mandat impératif limité dans le temps et
révocable et proposent des conseils de volontaires par secteur, sans risque
d’opportunisme puisque dépourvus d’avantages matériels, sans président mais
seulement un coordinateur pour l’organisation matérielle des séances.
Pour prévenir les craintes et critiques à propos des
dérives répressives liées aux révolutions, ils souhaitent que la vengeance soit
écarter pour des raisons évidemment morales mais aussi parce les résultats
rapides effaceront frustrations et désirs de ressentiment : « on ne
punit pas un système, on l’abat et on abandonne à leur sort ses débris déchus ».
En conclusion, ils préfèrent analyser le présent en
termes stratégiques plutôt que d’en rester à la critique nihiliste qui alimente
la résignation et désarme les énergies naissantes. Face au risque fasciste, ils
considèrent l’anti fascisme comme un leurre qui vient l’alimenter en donnant
l’impression de soutenir l’ordre démocratique existant. Ils craignent autant un
processus d’effondrement continu des structures sociales et étatiques, une
dissolution interminable sans explosion. Ils proposent de se rencontrer, sans
structure, de s’organiser de façon informelle, pour être prêts.
Ces quelques directions programmatiques méritent attention
et réflexion d’autant qu’elles sont argumentés par d’intéressants exemples
historiques que nous n’avons pas pu rapporter ici. Les auteurs ont su éviter d’enfermer
leurs propositions dans un cadre trop strict, invitant à l’invention.
PREMIÈRES MESURES RÉVOLUTIONNAIRES
Éric Hazan & Kamo
122 pages – 8 euros.
La Fabrique éditions – Paris – septembre 2013
http://www.lafabrique.fr/index.php
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