9 avril 2019

HABITER EN LUTTE Zad de Notre Dame des Landes – Quarante ans de résistance

Revenant sur quarante ans de combat dont les dix derniers marqués par l’occupation d’un territoire de bocage, à Notre-Dame-des-Landes, à une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes, condamné par un projet d’aéroport, cet ouvrage propose de garder les traces de cette expérience humaine et de les partager : l’invention du quotidien avec sa gestion politique et ses assemblées, la transmission des savoir-faire, les chantiers collectifs et tous les événements qui ont permis de tenir tête aux gouvernements successifs. Il s’agit d’inspirer, de « montrer comment habiter un territoire peut devenir un moyen de lutte », de « donner de l’espoir à celles et ceux qui ailleurs, aussi, ont fait le choix de ne pas se résigner ».


Les auteurs reviennent sur la notion d’usage commun des landes dans le Massif armoricain jusqu’au XVIII ème siècle, privatisées alors au nom de la modernisation de l’agriculture, par l’installation progressive d’enclos qui les morcellent et dont la propriété passera, avec la Révolution, des seigneurs aux Communes. En parallèle, la métropole nantaise émerge, grâce au négoce d’esclaves principalement. Les conflits autour du projet d’aéroport racontent la confrontation entre différentes visions du monde : la politique française d’aménagement du territoire, imposée sans prendre en compte ni son histoire ni ses habitant.es, et les problématiques de celle-eux qui y vivent et vont produire des analyses techniques et économiques pour démontrer la faisabilité de solutions alternatives. L’amélioration de l’aéroport existant est par exemple défendue, accueillant 4 millions de voyageur.ses par an, plus grand que celui de San Diego en Californie, qui en accueille pourtant 17 millions. Le débat public organisé en 2002 et 2003 devait faciliter l’acceptation du projet, mais sert de tribune aux opposants. Les premiers forages d’études des sols en juin 2005, marquent le début des « oppositions physiques ». Différents recours sont déposés, la tenue de l’enquête publique est empêchée, témoignant de la diversité et de la complémentarité des modes d’action. L’État passe outre les avis de ses propres services et institutions. Le 1er mai 2008, un appel est lancé « à établir des campements d’occupation sur les terrains que se sont injustement appropriés les promoteurs de ce projet aberrant et mortifère ». L’acronyme ZAD est détourné de « zone d’aménagement différé » en « zone à défendre ». Les occupant.es considèrent que c’est l’usage du lieu qui donne le droit de l’occuper et affirment appartenir au territoire plutôt que l’inverse : « Ce n’est pas la nature que nous défendons, nous sommes la nature qui se défend. » Habiter illégalement permet autant d’occuper le terrain pour entraver le projet, que de faire évoluer la société à partir d’une expérience locale : potager de combat, marché gratuit,…

Le 16 octobre 2012, plus de mille gendarmes sont mobilisé.es dans le cadre de l’opération « César » pour expulser les squatteur.ses et détruire les lieux de vie. Des militant.es répondent à l’appel à soutien et convergent, prêt.es à participer à des actes collectifs illégaux qu’il.elles considèrent comme légitimes, rendant plus difficile encore la mission des forces de l’ordre. Le 17 novembre, 40 000 personnes affluent pour la première manifestation de réoccupation, l’opération » Astérix ». Un chantier collectif et autogéré a permis, en une seule journée, de construire tout un ensemble de bâtiments. Plus de deux cents comités de soutien se créent tant en France qu’à l’étranger en quelques semaines ! Plus de cent actions de sabotage sont menées contre Vinci et des locaux du Parti socialiste. Faute de parvenir à l’expulser, le gouvernement occupe la Zad, contrôlant tous les points d’accès pendant plusieurs mois. Cependant les manifestations se succèdent et les nouvelles constructions se multiplient, défiant la présence policière. En avril 2013, l’opération « Sème ta Zad ! » permet le démarrage d’une douzaine de nouveaux projets agricoles. Les forces de l’ordre reparties, il s’agit désormais de construire l’autonomie. À l’hiver 2015, le nombre d’occupant.es s’élève à deux cents réparti.es sur une soixantaine de lieux de vie collectifs.  Des conflits surgissent, souvent résolus en assemblée, par exemple entre les collectifs proches du monde agricole qui recherchent l’autonomie alimentaire et matérielle par une organisation collectiviste fortement structurée, et les personnes qui cherchent à se libérer de la dépendance aux technologies industrielles, expérimentant la permaculture, les constructions en matériaux du bocage ou récupérés, créant les modes de vie de l’après-pétrole.
En 2016, une consultation locale est organisée, présentée comme un référendum, sur le périmètre du département de Loire-Atlantique, alors que l’aéroport concernerait deux régions et serait payé par l’ensemble des contribuables français.

Des cartes concluent chaque chapitre permettant de suivre l’évolution des rapports de force, de comprendre le territoire. Les dernières grandes manifestations avant l’abandon du projet le 17 janvier 2018 sont également racontées, ainsi que la tentative d’évacuation en avril qui va mobiliser plus de 2 500 gendarmes. Les modes et les lieux de vie développés sont présentés, analysés. « À la zad, les occupant.es ne cherchent pas à créer des solutions reproductibles ailleurs mais par leurs nombreuses tentatives, ils et elles ouvrent de nouvelles perspectives et montrent qu’il est possible de s’organiser ensemble en limitant les rapports hiérarchiques et de domination. » Autour de 300 personnes y vivent en 2017. Les modalités de prise de décision sont aussi longuement expliquées : « Sur place, il est hors de question de passer par le vote pour prendre une décision car, pour toutes et tous, il acte la domination de la majorité sur les minorités. Personnes ici ne se reconnait dans la démocratie participative, telle qu’elle est appliquée dans un grand nombre de pays, car elle impose toujours un gouvernement et une autorité incarnée par des personnes placées au-dessus des autres. Se passer de représentant.es élu.es implique de passer beaucoup de temps à discuter pour élaborer les décisions ensemble, au consensus. » Un outil collectif de gestion des conflits, inspiré de la justice communautaire zapatiste, est mis en place en hiver 2016 : « le cycle des douze ». Une charte en six points « pour l’avenir de la Zad » anticipant l’après, est discutée et adoptée par l’ensemble des composantes du mouvement : tout le monde doit pouvoir rester et continuer à déterminer l’usage des terres, à expérimenter ce qui n’est pas possible ailleurs. Ce n’est pourtant pas la voie que choisira le gouvernement : « Le pouvoir se gargarise d’écologie, mais ne peut supporter de voir les gens la vivre en acte. »


Appuyé sur de très nombreux témoignages, cet ouvrage, certainement le plus complet existant, rend à la fois compte de l’histoire de la lutte contre l’aéroport et des initiatives mises en place, visant l’autonomie à travers l’autogestion et des formes d’organisation horizontale, la « perspective de faire commune », d’ « imaginer un processus révolutionnaire qui ne passe plus par l’espoir d’un Grand Soir » mais par la mise en actes d’une critique radicale : « Déserter pour ne plus participer à un système honni, chercher des complices, les rencontrer et construire avec elles et eux le monde auquel on aspire. »


HABITER EN LUTTE
Zad de Notre Dame des Landes – Quarante ans de résistance (1974-2018)
Collectif Comm’Un
182 pages – 20 euros
Éditions Le Passager Clandestin – Paris – Mars 2019



 

Voir aussi :

SAISONS - Nouvelles de la ZAD


ÉLOGES DES MAUVAISES HERBES - Ce que nous devons à la ZAD

NANTES RÉVOLTÉE N°3 - Mai/juin 2018

NANTES RÉVOLTÉE – Numéro 2

LE MONDE DES GRANDS PROJETS ET SES ENNEMIS

LE PETIT LIVRE NOIR DES GRANDS PROJETS INUTILES

DE TOUT BOIS #9 - Revue de lutte contre le Center Parcs de Roybon

SIVENS SANS RETENUE

 

 

 

 

 


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