6 novembre 2019

L’HUMANITÉ AUGMENTÉE - L’Administration numérique du monde

La révolution numérique achève d’accomplir le « miracle d’une interconnexion intégrale ». Éric Sadin retrace la trajectoire de l’informatique moderne, longtemps fourvoyée dans la recherche de « l’humanisation des machines », avant de se consacrer au perfectionnement du traitement informationnel automatisé, à l’avènement de la cognition artificielle et à l’instauration d’une « anthrobologie ». « C’est le sujet moderne qui peu à peu se dissout, celui issu de la tradition humaniste instituant l’individu comme un être singulier et libre, pleinement conscient et responsable de ses actes. C’est le pouvoir du politique fondé sur la délibération et l’engagement dans la décision qui s’effrite, pour progressivement concéder à des résultats statistiques et à des projections algorithmiques le soin d’instruire et de décider de choix publics. »
 
Il revient sur la naissance de la cybernétique au tournant des années 1950, « science cherchant à faire opérer un traitement robotisé et standardisé de l’information par des automates », la production en série d’ordinateurs personnels, l’avènement d’internet permettant d’accéder à « des volumes gigantesques et exponentiels de masses informationnelles », celui du smartphone qui consacre l’individualisation, la portabilité et la miniaturisation des objets électroniques. L’intelligence technologique est désormais dotée d’ « une puissance interprétative et réactive », ouvrant « l’ère de l’individu géolocalisé/assisté », grâce à l’inflation astronomique d’applications appelées à couvrir l’intégralité des séquences de la vie quotidienne, contribuant à « instaurer une « administration soft » et d’apparence quasi ludique des existences, confirmant un « pliage algorithmique » du quotidien ».
« Notre période historique signale la fin d’une extériorité de la technique, ne pouvant plus être pertinemment envisagée comme une puissance bonne ou mauvaise conformément à des critères moraux, mais d’après le degré de proximité au corps et le niveau d’imprégnation opéré sur la conscience. » Éric Sadin identifie un « rapport totémique à la technique » et une « gouvernementalité algorithmique » émergente, projet politique non déclaré d’une « administration électronique de la vie ». En effet, ce « processus de computation déductive » achève le processus de civilisation que Norbert Elias définissait comme une confiscation aux individus de l’usage de la violence et un apprentissage de l’autocontrainte.
Il entrevoit deux possibilités :

  • La satisfaction insouciante d’un pilotage automatisé du quotidien : l’apport incessant d’informations miraculeusement ajustées à chaque fragment d’existence, amplifiant notre paresse naturelle par un « assistanat tendancieusement intégral rendant presque vain tout effort volontaire et soutenu de savoir »
  • La conscience d’un autre moment de notre condition : L’apport continuel et bienvenu de connaissances permettant de procéder à l’enrichissement de certaines de nos aptitudes.


Si ses conclusions pourront paraître optimistes, voire naïves, l’analyse d’Éric Sadin a le mérite d’être sérieusement approfondie, d’englober non seulement des considérations purement techniques mais aussi et surtout anthropologiques et philosophiques. Son style particulièrement exalté pourra peut-être parfois sembler abscons.




L’HUMANITÉ AUGMENTÉE
L’Administration numérique du monde
Éric Sadin
194 pages – 12 euros.
Éditions L’Échappée – Collection « Pour en finir avec » – Paris – Mai 2013
https://www.lechappee.org/




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LA SILICOLONISATION DU MONDE




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