21 mai 2020

DISCOURS PRÉLIMINAIRE DE L’ENCYCLOPÉDIE DES NUISANCES

Premier fascicule de l’Encyclopédie des nuisances, rédigé par Jaime Semprun pour servir de base d’accord et de programme à ceux qui s’étaient associés à lui pour entreprendre la publication périodique de ce « Dictionnaire de la déraison dans les sciences, les arts et les métiers ».

Alors que Diderot et ses amis, avaient constitué  l’« inventaire enthousiaste d’un monde délivré de l’illusion religieuse » et gouverné par la raison, ils leur fallaient « décrire le royaume de l’illusion techniquement équipée » et « l’impuissance à faire consciemment leur histoire des hommes asservis à leur propre production ». Cet ouvrage poursuivait deux objets : exposer comment chacune des spécialisations professionnelles apporte sa contribution à la dégradation générale des conditions d’existence, tout en indiquant « les voies du dépassement de cette paralysie historique que les classes propriétaires rêvent de rendre irréversible en l’accablant de prothèses ». « Comme Encyclopédie, il doit exposer l’unité de la production de nuisances comme développement autoritaire dont l’arbitraire est l’image inversée et cauchemardesque de la liberté possible de notre époque. » Non seulement « cette raison n’a pas donné tous les beaux résultats que l’on attendait » mais son développement a plutôt été celui de la déraison. « Voyez comme ce monde qu’ils produisent de part en part est plus hostile aux misérables civilisés que ne l’a jamais été la nature pour les sauvages le plus démunis ! » La science moderne est « une magie qui ne fonctionne pas. »
La bureaucratisation du monde, nuisance qui contient toutes les autres, ambitionne, faute de pouvoir supprimer celles-ci, de parvenir à en manipuler la perception. Le « bonheur marchand dont on nous rabattait les oreilles », « la fin du calvaire historique par la grâce de la technique » fût perçu par les auteurs comme « quelque chose qui n’allait pas du tout de soi », dans la continuité des critiques de l’Internationale situationniste. « Déserteurs de la culture officielle », rendus méfiants par les « experts » incontrôlés qui ont cherché à sauver leur « pouvoir de spécialistes » à l’intérieur du mouvement Solidarité en Pologne, fondamentalement anti-hiérarchique, ils pratiqueront la règle de l’anonymat à tous les textes qu’ils publieront afin de « sélectionner parmi les transfuges ceux qui sont effectivement décidés à ruiner leur spécialité et le système qui les emploie, sans rechercher un prestige subversif qui les mettrait en mesure de se vendre ensuite un peu plus cher que leurs collègues ».
Enfin, ils dénoncent les « gémissements écologistes ». « Demander à l’État aide et protection revient à admettre par avance toutes les avanies que cet État jugera nécessaire d’infliger, et une telle dépossession est déjà la nuisance majeure, celle qui fait tolérer toutes les autres. »


Dans sa préface, rédigée en 2009 à l’occasion de la réédition, Jaime Semprun s’attache à re-situer la publication de ce texte « aux début euphoriques du cycle de prospérité capitaliste dont nous voyons maintenant la fin ». Il s’agissait pour lui, pour eux, d’opposer à « la triomphante vulgarité du mitterrandisme, présenté comme « victoire de Mai 68 » », le seul « héritage » qui justement leur importait : « la négativité, la critique concrète et historique de la production marchande et des conditions de vie qu’elle impose ».


Nous rendrons vraisemblablement compte de quelques uns des quinze fascicules parus de cette encyclopédie, en attendant, beaucoup d’autres titres de cette maison d’édition sont d’ores et déjà dignes d’intérêt :

LA SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE ET SON AVENIR de Theodore Kaczynski

LE JARDIN DE BABYLONE de Bernard Charbonneau

CATASTROPHISME, ADMINISTRATION DU DÉSASTRE ET SOUMISSION DURABLE de René Riesel et Jaime Semprun

AVEUX COMPLETS DES VÉRITABLES MOBILES DU CRIME COMMIS AU CIRAD LE 5 JUIN 1999 de René Riesel

ADRESSE À TOUS CEUX QUI NE VEULENT PAS GÉRER LES NUISANCES MAIS LES SUPPRIMER






DISCOURS PRÉLIMINAIRE DE L’ENCYCLOPÉDIE DES NUISANCES
Jaime Semprun
50 pages – 6 euros
Éditions de l’Encyclopédie des nuisances – Paris – Avril 2009
Première publication : novembre 1984





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