Il distingue trois familles :
- Les néo-fascistes, marginaux et isolés, du fait de la loi qui réprime sévèrement leur capacité d’expression. Excepté Aube dorée en Grèce, aucun n’a d’élu.
- Les « ovnis politiques », comme l’emblématique Parti pour la liberté néerlandais (PVV), islamophobe et défenseurs des droits des homosexuels.
- Les partis antisystèmes, cherchant à devenir respectables, surtout ceux qui viennent de la tradition fasciste. Ainsi, au milieu des années 1980, Jean-Marie Le Pen, ancien tortionnaire en Algérie et éditeur de disques de chants de la Wehrmacht, devient « précurseur de la renaissance d’un courant pourtant condamné par la défaite du nazisme, puis la déconfiture du vieux colonialisme », et parvient à imposer les thèmes de l’immigration et de l’insécurité. En Autriche qui, contrairement à l’Allemagne, n’a jamais réglé ses comptes avec le passé et reste présentée comme « victime » du nazisme, Jörg Haider et son Parti de la liberté (FPÖ) participent au gouvernement en 1999, tout en vantant la politique de l’emploi du IIIe Reich. En Italie au contraire, la Ligue du Nord, rompt avec son passé fasciste. En France, Marine Le Pen cherche à séduire une partie de la droite dite « républicaine ».
Pour en finir avec les provocations de son père, celle-ci, sur la base d’une convergence autour de la « montée de l’islam radical », multiplie les contacts avec Israël, même si beaucoup autour d’elle, qu’elle tente de cacher au moins médiatiquement, n’abjurent aucunement leurs racines antisémites. Il s’agit de soutenir « ceux qui combattent sur la première ligne de front l’“islamisation de l’Occident“ ».
La France comptait en 2010 3,3% de musulmans, soit 2,1 millions sur 63 millions d’habitants. Cette réalité démographique contredit la manipulation du « choc des civilisations » et la « prétendue communautarisation de nos sociétés ». « Tandis que les islamistes surfent sur les humiliations et les frustrations du monde arabo-musulman, les néoconservateurs instrumentalisent l’islamophobie tout en pointant du doigt un antisémitisme parfois violent, mais idéologiquement marginalisé. L’islam se substitue au communisme comme “ennemi“ du monde occidental “judéo-chrétien“. » Sans chercher à hiérarchiser les différentes formes de racisme, l’auteur tient à « mesurer leur emprise respective, ne serait-ce que pour mieux les combattre ». Il cite des études qui mettent en lumière le récent et brusque arrêt de la tendance globale de la société française, pourtant observée depuis vingt ans et du à un lent recul des préjugés, « porté par le renouvellement générationnel, le développement de l’instruction, l’ouverture sur le monde ». « Le racisme et la xénophobie sont des attitudes, forgées sur le long terme, parfois dès l’enfance et dans le milieu familial. Mais ce ne sont que des prédispositions, comme le montrent de nombreux travaux, sensibles à la conjoncture, à des événements marquants jouant le rôle de déclencheur. » Les affrontements de Grenoble en juillet 2010 et les révolutions arabes, ont certainement contribué à ce reflux. Le musulman, ou l’arabe, s’impose comme nouveau bouc émissaire, par le biais de la religion, au prétexte de la défense des valeurs républicaines et de la laïcité. Ce repli xénophobe a été légitimé par les débats autour de l’identité nationale, les politiques migratoire et sécuritaire de Nicolas Sarkozy, dans une stratégie cherchant à contrer la dynamique lepéniste. Si celle-ci accuse des avions et des bateaux remplis d’immigrés de débarquer chaque jour des Mohamed Merah, il surenchérit aussitôt en dénonçant les amalgames, tout en soulignant que deux des soldats tués par Mehra « étaient – comment dire ? – musulmans, en tout cas d’apparence, puisque l’un était catholique » !
L’islamophobie n’est cependant pas une spécificité française. Dominique Vidal passe rapidement en revue les formations européennes exploitant ce sujet. Le 11 septembre 2011 a contribué à donner chair à « la prophétie autoréalisatrice de Samuel Huntington : le choc des civilisations ».
Il analyse la progression du vote frontiste et la sociologue de son électorat : 950 000 voix gagnées en dix ans, déplacement géographique vers les périphéries, ouvriers et employés, chassés des agglomérations par la spéculation immobilière, victimes du chômage et de la disparition progressive des services publics. Le géographe Jacques Lévy explique ainsi que « l’espace du lepénisme, tout en se renforçant en masse, tend à perdre une part de sa consistance territoriale. Il est fait de filaments nombreux mais interstitiels, qui tisse une trame en négatif de celle des grands réseaux de communication. C'est l'espace du retrait, imposé ou volontaire, de l'espace public. Inversement, l'urbanité, ce mélange de densité et de diversité, ce comporte, vis-à-vis du Front national, comme un bouclier renforcé. » Parmi les facteurs qui expliquent cette avancée, il pointe « l’irresponsabilité politicienne de L'UMP de son candidat : après avoir banalisé les idées de Marine Le Pen en surenchérissant sur ses discours sécuritaires et islamophobes durant la campagne présidentielle, ils ont offerts au FN un brevet « républicain » en le renvoyant dos à dos avec le Front de gauche. »
Dominique Vidal attribue à la percée des extrêmes droites européennes, la « terrible souffrance sociale » de la classe populaire, résultat de la conjugaison de deux facteurs entremêlés : la brutalité de la modernisation et de la réforme néolibérale de la société. Paupérisation, précarisation, individualisation du travail modifiant la base de la conscience de classe, ont engendré un « repli sur soi » et les espoirs d'une « solution miracle », la recherche d’un nouveau bouc émissaire, alors que l’espoir de tout changer semble s'être évanoui.
« L’ extrême droite a ceci de commun avec le renard de La Fontaine qu’elle vit aux dépens de ceux qui l'écoutent. » Les critères traditionnellement tenus pour pertinents en matière de définition identitaire, ne pouvant constituer des références suffisantes dans une société où beaucoup d'aspects de la vie sont en mouvement, la religion retrouve une certaine légitimité et l’extrême droite, entretenant les peurs, encourage à un repli identitaire défensif et à un seul marqueur : la « civilisation » contre les « barbares », les « français » contre les « arabes », contre les « homosexuels », les « communistes ».
L’opposition à l’Union européenne est un autre cheval de bataille qu’analyse Dominique Vidal, avant de s’attarder sur les spécificités de l’extrême droite en Europe centrale et orientale, où les conceptions nationales se sont forgées au cours du XIXe siècle autour d’une conception ethnique de la nation. La fin de la Première Guerre mondiale redessina la région autour de configurations triangulaires : un État-nation, avec des minorités « étrangères » sur son sol et des poches de populations disséminées à l’extérieur. Si les conflits ont pu être contenus au nom de l’internationalisme prolétarien, ils sont réapparus après 1989, auxquels est venu s’ajouter l’explosion des inégalités, encourageant un repli sur un nationalisme völkich, aux antipodes de notre conception citoyenne. Le racisme vise moins l’immigration, rarement massive, que ces minorités nationales, et un antisémitisme aux racines séculaires reste vivace. Les particularités de chacun des pays sont présentées.
En conclusion, Dominique Vidal tente une comparaison avec les années trente, soulignant que ces nouvelles extrêmes droites, plus que l’accession au pouvoir par la force ou la terreur, rêvent d’un ralliement d’une partie des droites traditionnelles et comptent sur « l’expansion de leurs idées dans le corps social ».
Si cet état des lieux peut paraître relativement ancien (2012), il apporte un regard rétrospectif intéressant, notamment au sujet de l’analyse des thématiques développées par l’extrême-droite. On ne peut que constater le chemin parcouru depuis.
LE VENTRE EST ENCORE FÉCOND
Les nouvelles extrêmes droites européennes
Dominique Vidal
170 pages – 7 euros
Éditions Libertalia – Collection « À boulets rouges » – Paris – Octobre 2012
www.editionslibertalia.com/catalogue/a-boulets-rouges/extremes-droites-europeennes
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