Ils dénoncent l’absence d’analyse critique de la part des journalistes qui saluèrent la parution de Métronome en 2009 comme une oeuvre de vulgarisation, installant son auteur comme une véritable autorité historienne. Pourtant son discours envisage le passé comme un grand récit romanesque destiné à faire vibrer le public et le faire adhérer à l’idée d’une France éternelle, à un « mythe national ». L’absence de sources et de références bibliographiques dénote un manque flagrant de rigueur scientifique. De plus, nombre de faits énoncés sont déformés pour aller dans son sens idéologique. Lorànt Deutsch cherchent à montrer une permanence de la France depuis la conquête romaine, de la royauté, de Paris comme centre historique, quitte à falsifier au besoin certains événements. Il affirme par exemple, au mépris de tous les témoignages et des recherches les plus récentes, que le Louvre remonte à Childéric, décrivant ainsi une continuité rassurante de l’oeuvre royale à Paris. De même, il raconte une Gaule, centre de gravité du christianisme alors qu’à cette époque là tout se passait en Orient. La Révolution française représente pour lui « la fin de notre civilisation », le moment « où on a coupé la tête à nos racines », un caprice violent et soudain du peuple, n’hésitant pas à établir un lien, à la suite d’un discours présent depuis le bicentenaire, entre la Terreur et les totalitarismes du XXe siècle, entre la Shoah et un prétendu génocide vendéen. Il présente les révolutionnaires comme les destructeurs du patrimoine alors même que cette notion n’existait pas sous l’Ancien Régime, que le premier musée des Monuments français fut créé en 1795, que la Convention a décidé en octobre 1793 d’interdire la destruction des objets d’arts, même religieux. Il explique aussi que la Commune de Paris a été « ordonnée » par l’Association internationale des travailleurs de Marx et Bakounine ! « Il s’agit de disqualifier la Commune en tant que mouvement démocratique, populaire et essentiellement parisien, et de faire oublier que les Versaillais bénéficiaient de la passivité complice des Prussiens. » « Deutsch reprend à son compte une pratique courante des milieux royalistes qui cherchent à rendre la monarchie désirable en la parant de toutes les vertus et en la faisant apparaître comme un âge d’or. » Il s’en prend à une supposée « histoire officielle » qui serait imposée par l’école, centrée sur l’idée républicaine et au service d’un apprentissage civique, bien que ce genre de programmes scolaires ne soit plus en usage depuis longtemps.
Patrick Buisson, ancien directeur de Minute et responsable de la chaîne Histoire du groupe TF1, est convaincu par la nécessité d’imposer une hégémonie culturelle des idées, selon la théorie de Gramsci, en l’occurence l’exaltation de la colonisation, la stigmatisation de l’immigration et de l’islam, l’identité nationale. Il a collaboré avec Lorànt Deutsch à un documentaire destiné à réhabiliter Louis-Ferdinand Céline.
Les auteurs décortiquent toute la stratégie marketing qui a contribué au succès de Métronome. Ce « produit » répondait à un « contexte de crispation identitaire » tout en l’entretenant. Ils retracent également l’histoire des tenants du « roman national », depuis l’ « école capétienne », représentée par Charles Maurras et Jacques Bainville, qui rejetait les apports méthodologiques « germaniques », considérés comme anti-patriotiques, pour leur préférer la « manière gréco-latine » : s’appuyer sur des travaux de seconde mains plutôt que des sources et faire rentrer, de force si nécessaire, les événements, les sociétés, les hommes dans un récit au service de thèses précises plutôt que de chercher à les comprendre. Puis, grâce à Sacha Guitry, le roman national atteint un plus vaste public. Dans les années 1930, celui-ci enchaîna les films historiques : Remontons les Champs-Élysées en 1938 puis De 1429 à 1942 : De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain, pendant l’Occupation. André Castelot, ancien vichyste, Alain Decaux, son confrère à l’émission de radio La Tribune de l’histoire, et le réalisateur communiste Stellio Lorenzi, produisent l’émission de télévision La caméra explore le temps de 1956 à 1966 et entretiennent un roman national mû par le destin des grands hommes. Le Puy du Fou s’inscrit dans cette continuité. Imaginé en 1977 par Philippe de Villiers, alors fils du vice-président du conseil général de Vendée, ce parc d’attractions historiques attire aujourd’hui 1,5 millions de visiteurs chaque année, leur livrant des spectacles-images d’Épinal, très éloignés d’une histoire scientifique et critique.
Nicolas Sarkozy, comme candidat puis président, a fait un usage du récit historique en politique dans le but de « figer dans un même moule l’histoire et l’identité (au singulier) nationale », cette dernière reposant, d’après Paul Ricoeur, sur la « mêmeté » (le partage de certaines caractéristiques distinctives) et l’ « ipséité » (l’adhésion à des valeurs communes qui perdurent dans le temps). « Nicolas Sarkozy a été un farouche défenseur d’une ipséité intégrationniste où l’adhésion à des caractéristiques culturelles et à une histoire héroïque empreinte de fierté nationale fait office de certificat de nationalité, une sorte de naturalisation “réelle“ opposée à la “légale“ que garantit la loi. Conséquence immédiate : fustiger ceux qui se refuseraient à cet effort d’assimilation, présentés comme autant de communautarismes qui détesteraient la France. »
Les « historiens de garde », journalistes philosophes médiatiques ou éditorialistes, tentent de se faire passer pour des résistants à une pensée unique, à « l’historiquement correct » qui prônerait une histoire multiculturelle et différentialiste, contaminée par le « paradigme des droits de l’homme », pour les défenseurs « d’une vérité historique qu’ils se doivent de transmettre au grand public, abruti par des professeurs gauchistes et des médias complaisants envers certaines revendications considérées comme “communautarismes“ ». Jacques Sévilla, Franck Ferrand, Michel Onfray, Éric Zemmour, Dimitri Casali, Stéphane Bern, Vincent Badré sont également évoqués. « Pour les historiens de garde, la menace d’une histoire ouverte au monde et qui oublierait les racines de la France (monarchie et catholicisme), c’est le risque du “communautarisme“. » Leur vision très restrictive et fermée, essentialiste, d’une histoire de France « rythmée par des grandes dates sacralisées », vise à démontrer la continuité historique d’une « France éternelle ». « On peut parler d’une histoire identitaire. »
Fort utile mise au point pour déjouer les sirènes médiatiques.
De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national
William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin
Préface de Nicolas Offenstadt
266 pages – 15,90 euros
Éditions Inculte – Collection « essai » Paris – Mars 2013
266 pages – 15,90 euros
Éditions Libertalia – Collection « essai » – Paris – Mars 2013
300 pages – 10 euros
Éditions Libertalia – Collection « poche » – Paris – Mars 2013
www.editionslibertalia.com/catalogue/poche/les-historiens-de-garde
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