6 mars 2023

L’ÉTABLI

Robert Linhart a passé une année comme O.S.2, à l’usine Citroën de la porte de Choisy. Sans s’attarder sur son parcours ni ses motivations, il raconte son expérience, le quotidien des différents postes de travail qu’il occupe, les humiliations, le racisme de la hiérarchie, le « système Citroën », la grève qu’il tente d’organiser, la répression qu’il subit. Car il ne s’est pas « établi » pour fabriquer des voitures mais pour contribuer à l’organisation de la classe ouvrière.

Le travail à la chaine ne lui apparait pas tel qu’il se le représentait : au lieu des « cadences infernales » si souvent dénoncées, il découvre « un long glissement glauque », un enchaînement lent, continu et monotone d’opérations. Il est surtout frappé par « une âpre odeur de fer brulé, par le bruit, rugissement des chalumeaux et martèlement des tôles, la grisaille omniprésente. Il décrit « la répétition de gestes identiques », la « guerre d’usure » dans une « tâche jamais achevée », « comme s’il n’y avait plus de mouvement, ni d’effet des gestes, ni de changement, mais seulement un simulacre absurde de travail, qui se déferait aussitôt achevé sous l’effet de quelque malédiction. »

Pour se faire embaucher, il a dissimulé ses diplômes et qualifications. Mais « pourquoi l'embauche d'un ouvrier à la chaîne serait-elle une opération compliquée ? Idée d’intellectuel, habitué à des recrutements complexes, des étalages de titres, des “profils de poste“. Ça, c'est quand qu'on est quelqu’un. Mais quand on n'est personne ? » « À l’extérieur, l’“établissement“ parait spectaculaire, les journaux en font toute une légende. Vu de l'usine, ce n'est finalement pas grand-chose. Chacun de ceux qui travaillent ici a une histoire individuelle complexe, souvent plus passionnante et plus tourmentée que celle de l'étudiant qui s'est provisoirement fait ouvrier. Les bourgeois s'imaginent toujours avoir le monopole des itinéraires personnels. Quelle farce ! Ils ont le monopole de la parole publique, c'est tout. Ils s'étalent. Les autres vivent leur histoire avec intensité, mais en silence. »

Ses efforts de propagande restent longtemps vains, tassés dans les quelques minutes de pause, entravés dans cette « société ouvertement policière », avec son encadrement et ses mouchards qui distillent la peur, les engrenages de la chaîne qui vous rappellent sans cesse à l’ordre : « La dictature des possédants s’exerce ici d’abord par la toute-puissance des objets. » Puis, au milieu du mois de janvier, la direction annonce la « récupération » des « avances » versées en mai et juin 1968, mais considérées alors comme un paiement des jours de grève. Dés lors, l’opposition s’organise indépendamment des syndicats.

Un « classique », témoignage d’une époque et d’une forme d’engagement.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


L’ÉTABLI
Robert Linhart
180 pages – 7 euros
Éditions de Minuit – Paris – 1978
www.leseditionsdeminuit.fr/livre-L%E2%80%99%C3%89tabli%C2%A0-2172-1-1-0-1.html



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