Réagissant autant aux commentaires des réseaux sociaux qu’aux témoignages des protagonistes et aux plaidoiries des avocats, qu’elle rapporte, commente et analyse, elle restitue avec une extrême minutie la complexe teneur des débats, avec des accusés insaisissables. Cécile Bergeon : mère infanticide ? Soumise ou manipulatrice ? « Les parents supposés maltraitants aiment leurs enfants. » Elle comparaitra enceinte au procès de 2016. Berkane Makhlouf : mythomane, toxico, violent et arabe, incapable de canaliser ses angoisses et ses frustrations comme nombre de « sudistes prolétaires », un coupable idéal ?
Elle se sent « chez [elle] » dans cette affaire. Beaucoup d’éléments biographiques font écho et ses propres parents aussi « ont fait de [s]on enfance une course contre les coups ». Elle, a survécut et leur demande des comptes, entend leur « vérité mensongère », comprend comment le poids du mektoub, dans la culture duquel elle a grandi, « fatum tragique en forme de meringue qui explique que les événements de la vie sont préécrits, dans ton dos, disait [s]a mère ». Elle réclame son dossier au Centre de l’enfance où elle se souvient avoir été placée pour combler les trous de sa mémoire et découvre qu’elle a été très souvent accueillie, pendant les vacances scolaires, « arrangements pour aider une famille pauvre qui ne savait par où mettre ses gosses ». Pas de signalements sociaux.
Dalie Farah décrit aussi une justice de classe : « déférence qu’on accorde au médecin de Chamalières qui n'a rien vu, et la défiance à celui de Croix-de-Neyrat qui n'a rien vu non plus ». Dans ces tribunaux aux allures de musée, où « tout est violent même la fausse douceur des magistrats », elle imagine une tribune à laquelle « un contre-procureur » accuserait la société de ses manquements. Alors qu’un expert psychiatre explique que « chaque humain essaye de domestiquer la violence en lui » en construisant « des barrières pour la transformer ou la réprimer », elle note que, « s'il a raison, ce n'est ni en prison, ni au tribunal que tu domestiques la violence ».
Dalie Farah reconstitue son « puzzle intime » avec chacun de ses livres : « En miroir de mes chairs gamines, la littérature s’avère un territoire d’enquête, jeu de pistes qui creuse les vérités sans fin. » Sans elle, sans doute serait-elle « mythomane, comme maman » enfermée dans des légendes capitonnées qui [lui] feraient un récit intime aussi faux qu’un roman national ». Elle trahit pourtant son « pacte d’écrivain », aidant l’un des avocats… comme pour « venger [s]on enfance ».
Si le sujet affiché de cet ouvrage, le récit d’un fait-divers, peut dérouter –souvent considéré comme destiné à « faire vendre du papier » – son traitement s’inscrit dans la démarche personnelle de l’auteur et conclut, ou tout au moins poursuit, son cycle sur la violence familiale contre les enfants. Au-delà des utilisations racoleuses, on pourrait retracer une longue tradition (Voltaire et l’affaire Callas, etc) de romans d’analyse empruntant leur matière première dans cette rubrique des journaux. Dalie Farah règle ses propres comptes mais parvient également à monter en généralité, avec une grande finesse et sans jamais sombrer dans le pathos. Elle met la littérature au service des plus vulnérables, contre « la violence non pas des forts, mais des impuissants, de ceux qui ont besoin d’une victime pour s’exercer à la domination ».
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
RETROUVER FIONA
Dalie Farah
288 pages – 20,90 euros
Éditions Grasset – Paris – Mars 2023
www.grasset.fr/livres/retrouver-fiona-9782246829690
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