Tandis que les effets de la crise climatique se font sentir, rien de sérieux n’est entrepris au-delà des discours, des promesses qui n’engagent pas et des déclarations d’intentions. Fabrice Nicolino présente ceux qui entretiennent le déni et l’inaction, les multinationales, les gouvernements et l’ONU « mille fois complice », pour que tout continue comme avant. Il décrit le simulacre qui dissimule ce qu’il appelle « le grand sabotage climatique ».
Il rappelle les alertes, écoutées mais pas entendues : George Perkins Marsh qui publie Man and Nature en 1864, où il évoque « la manière dont l'espèce humaine est en train de changer la face du monde », Fairfield Orson avec La Planète au pillage en 1948, dans lequel il explique que « l'Humanité est devenu une force géologique », Roger Heim, directeur du Muséum et auteur de Destruction et protection de la nature, qui recense les espèces disparues et dénonce une « fausse » science en vérité au service de l’économie et de la destruction, Rachel Carson et son PRINTEMPS SILENCIEUX, bien sûr, pour lequel Roger Heim, justement, écrivait dans sa préface à l’édition française : « on arrête les “gangsters“, on tire sur les auteurs de “hold-up“, on guillotine les assassins, on fusille les despotes – ou prétendus tels –, mais qui mettra en prison les empoisonneurs publics instillant chaque jour les produits que la chimie de synthèse livre à leurs profits et à leurs imprudences ? » Fabrice Nicolino va montrer comment « les puissants de ce monde en faillite » ont perçu très tôt que tout ne pouvait pas durer mais qu’il n'était pas question de changer quoique ce soit pour autant.
De la même façon, les gouvernements et les instances internationales ont, très tôt, conscience des dangers. En 1968, une conférence de l’UNESCO porte sur « l’utilisation rationnelle et la conservation des ressources de la biosphère », puis l’ONU décide en décembre 1970 de la tenue d’une première Conférence des nations unies sur l’environnement. En février 1970, Georges Pompidou avait prévenu qu'il importait de protéger la nature « pour que la Terre demeure habitable à l'homme » et le 22 avril, des millions d’Américains avaient défilé pour le premier Earth Day. En 1972 parait le rapport Meadows. Mais, dans son discours sur l'état de l'Union, le 29 janvier, le président Truman a annoncé un programme de développement en direction des régions « sous-développées ». Et le budget du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), créé le 15 décembre 1972, sera de 100 000 dollars pour les cinq premières années, tandis que les États-Unis en dépenseront 120 milliards au Vietnam. Son rapport d'activité de 1986, par exemple, résume parfaitement le dérèglement climatique à venir. Pourtant, à par la mise en place de commissions et des déclarations d’intention, il n’a pas fait grand chose. Fabrice Nicolino présente ses dirigeants successifs et met en lumière leurs liens étroits avec l’industrie, leurs compromissions avec les dignitaires chinois ou russes, peu enclins à stopper la destruction en sacrifiant la croissance. « Ils avaient les moyens de savoir, de faire savoir et de pousser à l'action. Ils ont préféré le décor. Ils ont choisi le simulacre. Ils nous doivent des comptes. »
Il explique comment « le développement durable » est devenu un mythe, « véritable passe-partout, idéal pour tous les fric-frac de l'esprit », « cache-sexe universel pour tous ceux qui souhaitait continuer comme avant », défini pour la première fois par le rapport de la commission Brundtland, paru en 1987, qui prend bien soin de préciser qu’« il ne s'agit en aucun cas de mettre fin à la croissance économique, au contraire ». D'ailleurs, si la toute première édition anglaise évoquait un « sustainable development », pourtant dans l’édition française, l’expression a été traduite par « durable ». Dès lors, les entreprises du monde entier « vont modifier non pas leurs pratiques, mais leurs discours ».
En juin 1992, au Sommet de Rio qui débouchera sur 2500 recommandations constituant l’Agenda 21, George Bush déclare devant 182 chefs d'État et les 2400 délégués de 1650 ONG, que « the American way of life is not negotiable ».
En 1979, se tient la toute première conférence scientifique consacrée au climat. Elle conclut que « l'usage de combustible fossile, la déforestation et les changements dans l'usage des terres ont augmenté de 15 % la quantité de gaz carbonique au cours du siècle passé et que celle-ci continue d'augmenter de 0,4 % chaque année », et « qu'une concentration plus élevée de gaz carbonique p[eut] conduire à un réchauffement graduel de la basse atmosphère, surtout aux hautes latitudes ». Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est créé en 1988, mais Margaret Thatcher et Ronald Reagan refuse qu'il soit composé uniquement de scientifiques, soupçonnés de militantisme, et vont imposer la présence des États. Dans chaque rapport seront recensées les études les plus importantes et les conclusions feront l'objet d’interminables va-et-vient pour parvenir à un consensus. Si tous alertent avec de plus en plus de précisions sur les conséquences à venir, la diplomatie contraint à ne surtout viser personne, ni la Chine, ni l’Arabie Saoudite, ni the American way of life.
De la même façon, Fabrice Nicolino montre combien les COP sont avant tout « le rendez-vous diplomatique et mondain des négociations climatiques ». « On signe à Kyoto un accord qui prévoit, entre 2008 et 2012, une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 5,2 % dans les pays développés par rapport à 1990. Mais elles augmenteront en réalité de 41 % entre 1990 et 2008. » L’accord de la COP21, à Paris en novembre 2015, est tout aussi « cosmétique » : « le texte est un engagement solennel, mais non contraignant. L’idéal pour les bateleurs. On gagne sans rien miser vraiment. Il aurait fallu diminuer drastiquement les émissions – probablement de moitié d'ici 2030 –, mais elles continuent d’augmenter. »
D’autres agences (CCNUCC, UICN, WWF) sont étudiées, d‘autres dirigeants présentés avec la même rigueur, mais il serait fastidieux d’en reprendre ici l’énumération. Retenons toutefois que nombre d’entre eux passent également par des postes dans l’industrie. La double carrière de Maurice Strong, dont le nom plane sur la plupart de ces institutions, est notamment étudiée à la loupe. Mais aussi celles de Stephan Schmidheiy, « criminel de l’amiante », Brice Lalonde, etc.
L’un des chapitres les plus intéressants est certainement celui qui démontrent que les compagnies pétrolières connaissaient très tôt les conséquences de leurs activités et comment elles ont organisé « le grand mensonge », tout comme l’industrie du tabac en son temps : en mettant en avant les incertitudes, en commandant et attendant perpétuellement de nouvelles études, en insistant sur le coût pharaonique de toute régulation, en trouvant des mesures susceptibles de lutter contre le dérèglement sans nuire au chiffre d’affaires, an finançant la désinformation à travers des publireportages, des Think thank qui entretiennent le déni climatique, des études qui attaquent les rapports du GIEC, etc. « Il ne s'agit pas de nier, mais de noyer l'information sous un flot de bruits qui en change la perception. » « Aux États-Unis, il est clairement démontré que le climatoscepticisme a été pensé, organisé, financé par l'industrie, et des groupes politiques de droite, donc ces libertariens qui ne veulent pas entendre parler de la moindre politique d'État. » En France, Luc Ferry, et surtout Claude Allègre ont entonné, comme d’autres encore, « l’hymne climatosceptique sans jamais fournir aucune information précise », sans jamais être contestés par les médias qui leur ont offert des tribunes.
L’auteur s’intéresse aussi aux pseudo-solutions de géo-ingénierie, qu’il considère comme « l’une des formes du climatoscepticisme », une « sorte de pensée magique » qui permet de détourner l’attention en laissant entendre que des solutions techniques existent, surtout sans rien changer.
Il passe au crible le vocabulaire utilisé pour reporter les responsabilités sur les individus et les culpabiliser (« empreinte carbone »), pour maintenir le droit à détruire grâce à une « entourloupe » (« compensation carbone » et « compensation écologique »), pour sauver la croissance (« transition écologique », « écoquartiers »). « Il ne s'agit plus de nier l'évidence du dérèglement climatique, mais de noyer le débat sous une masse de mots dépourvus de sens véritable, décourageant le profane par l’usage d'un jargon qui nous renvoie à aucune expérience. Non il ne s'agit plus de niez, mais de perpétuellement différer le moment d'agir par une novlangue qui emprisonne la volonté. »
Il identifie ensuite la consommation forcée, « l'accumulation sans fin de milliards d'objets matériels dont nos aïeux se sont constamment passés », comme sources du problème : « L'obsolescence est une vaste allégorie de notre monde. Pour ne pas dire un synonyme. » Si la conception d'objets indéfiniment réparables et économe en énergie, demeure possible, elle est incompatible avec le monde tel qu’il est.
Considérant qu’ « il n'est pas possible, il n'est pas concevable que de si dérisoires minorités assoiffées d'or continuent à détruire le monde », il invite, en guise de conclusion, la jeunesse à la « révolution totale ».
Avec cette enquête, Fabrice Nicolino met en lumière, avec sa rigueur habituelle, la convergence d’intérêts des décideurs politiques, de leurs représentants au sein des institutions internationales et des dirigeants des grandes entreprises, qui, s’ils ne sont pas tout à fait les mêmes, se relayent aux mêmes postes. Le pillage et la destruction du vivant ne cessera pas, malgré les alertes de plus en plus criantes, car les affaires doivent continuer. Si l’on sent poindre en permanence sa colère difficilement contenue, jamais son ironie ne nuit à son objectivité. On peut aisément comprendre qu’après des décennies passées à informer et militer, on puisse perdre un tant soit peu patience.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
LE GRAND SABOTAGE CLIMATIQUE
Révélations sur un système corrompu : ONU, Multinationales, Gouvernements…
Fabrice Nicolino
352 pages – 22,50 euros
Éditions Les Liens qui libèrent – Paris – Septembre 2023
www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Le_grand_sabotage_climatique-739-1-1-0-1.html
La Planète flambe, le blog de l’auteur.
Traduction en hollandais de cet article, par Thom Holterman : libertaireorde.wordpress.com/2023/11/22/de-grote-klimaat-sabotage/
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