Chicago, mai 1886. Une bombe explose lors d’un rassemblement pour l’obtention de la journée de huit heures, à l’angle de Crane’s Alley, une ruelle faiblement éclairée par un lampadaire à gaz près de Haymarket Square. Des policiers sont tués, essentiellement par les tirs de leurs collègues paniqués. Huit hommes sont arrêtés, jugés et condamnés, sans preuve. Cinq sont pendus le 11 novembre 1887 après une parodie de procès, car « les puissants ne pardonnent jamais aux faibles de les avoir fait trembler ». Leur « martyr » aura des répercutions internationales et aboutira à la célébration de la Journée internationale des travailleurs, chaque 1er mai.
Martin Cennevitz raconte le parcours de chacun, le contexte de cet événement, son déroulement et ses conséquences, dans un habile récit choral qui embrasse l’histoire de Chicago, depuis la prophétie des Sept Feux des Potéouatamis jusqu’à l’érection d’un monument commémoratif au cimetière allemand de Waldheim en 1893, son développement extrêmement rapide, l’incendie d’octobre 1871 et le détournement de l’aide internationale pour la reconstruction par les riches industriels au profit de leurs entreprises, le chantier qui trace des rues en damiers dans une préoccupation hygiéniste et rationaliste, permettant au vent de s’engouffrer, sans résoudre les problèmes liés aux pollutions et à l’insalubrité, les crises économiques qui se succèdent et se ressemblent. Certains songent à leur enfance, leur vie en Europe et leur arrivée aux États-Unis, tandis qu’ils attendent dans leur cellule. D’autres sont évoqués par leurs descendants, comme Lucy Parson, la compagne d’Albert, qui, à 88 ans, en 1942, se souvient des lettres reçues ou Emma Goldman qui rend visite à Michael Schwab à l’hôpital, en 1898. Tous sont précocement confrontés aux injustices et, révoltés, militent dans les mouvements ouvriers. Les capitalistes sont hantés par « le spectre de la Commune de Paris ». Les répressions sont sanglantes.
Différentes périodes se croisent sans cesse sans jamais perdre le lecteur. Au-delà du récit de cet événement fondateur de l’histoire du mouvement social, du destin de ses protagonistes malgré-eux, c’est le tableau de toute une époque qui est dessiné, la vengeance grimée en parodie de justice qui est illustrée : quelques jours après l’exécution, « 300 capitaines d'industrie récompensent leurs héros en leur versant 475 000 dollars. Le procureur Grinnell touche 35 000 dollars, les jurés se partagent 100 000 dollars, la police et les faux témoins se répartissent le reste. » La forme est audacieuse et l’exercice réussi. Passionnant.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
HAYMARKET
Récit des origines du 1er mai
Martin Cennevitz
216 pages – 12 euros
Éditions Lux – collection « Instinct de liberté » – Montréal - Septembre 2023
luxediteur.com/catalogue/haymarket/
Voir aussi :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire