À l’instar de Paul Nizan qui dénonçait, en 1932,
avec "Les chiens de gardes", la collusion des philosophes avec « l’actualité
impure de [leur] temps », Serge Halimi interpelle journalistes et lecteurs
pour lutter contre l’amnésie qui autorise en permanence les incohérences et les
inconséquences et appelle à une logique de responsabilité.
Le contre-pouvoir s’est assoupi et s’est retourné
contre ceux qu’il devait défendre. Multipliant les exemples (qui datent du
milieu des années 90 pour la première édition de cet ouvrage), il décrypte la
société de connivence qui s’est mise en place, avec ses affrontements factices,
ses notoriétés indues, ses services réciproques, ses omniprésences à l’antenne.
Il commence par mettre à mal la légende de
l’indépendance du journaliste. On nous renvoie toujours à l’époque de
l’O.R.T.F. comme irréfutable preuve de progrès parcouru pourtant, l’attitude de
ceux qu’il surnomme les « journalistes de révérence » ne semble pas
avoir beaucoup évoluée si l’on regarde le traitement de l’annonce de la
candidature d’Édouard Balladur en 1995, des diverses mises en cause de Jacques
Chirac, du décès de François Mitterrand, de la guerre du Golfe ou de la
campagne du référendum sur le traité de Maastricht qui ont confirmé
l’effondrement de leur esprit critique.
L’imbrication croissante entre les groupes
industriels et les médias est contraire aux vœux du programme du Conseil
National de la Résistance qui prétendait assurer « la liberté de la
presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances
d’argent et des influences étrangères ». Bouygues et Lagardère sont les
héritiers du Comité des Forges. Finalement la liberté de la presse appartient encore à ceux qui la possède.
Autorité et richesse disposent de tout un
appareillage idéologique pour conforter leur domination : les faits divers
font diversion, la pensée unique s’impose comme une vérité, les questions de
société (violence, racisme, jeunesse,… ) sont dépouillées de leur contexte
social, les impératifs du marché (privatisations, déréglementations,… ) sont
matraqués dans un conditionnement quotidien. À l’affirmation d’un
contre-pouvoir s’est substituée une volonté d’accompagnement des choix de la
classe dirigeante par une pédagogie collective. Impossible de remettre en cause
le creusement des inégalités, la montée des phénomènes de déstructuration
collective et de repli individuel dont se nourri le Front National après avoir
avalisé les grands choix commerciaux, monétaires et financiers qui les ont
suscités.
La précarité de la profession (piges mal payées et
stages sans avenir) et les « ménages » qui peuvent rapporter dix SMIC
mensuels par jour ( ! ) pourtant interdits par leur convention collective, finissent
d’assujettir les journalistes.
Serge Halimi revient ensuite sur la méthode utilisée,
en novembre et décembre 1995, par
les grands éditorialistes parce qu’elle fut parfaitement exemplaire :
exposition de leur admiration unanime pour le plan Juppé ; comme l’opinion est
hostile, encouragements et félicitation au gouvernement pour son courage ;
comme les manifestations restent populaires malgré les perturbations, dénonciation
de l’irrationalité ; puis accusation contre les corporatismes et les
preneurs d’otages et enfin, la lobotomie ne fonctionnant finalement pas face à
tant d’irrationalité, concession de façade aux acteurs du mouvement social. Il
rapporte nombre de citations qui illustrent ces différentes phases.
Ils sont une trentaine à s’inviter mutuellement dans
leurs émissions, à encenser à tour de rôle les livres des autres car la
confraternité qui procure des avantages impose quelques exigences. Connivence,
débats factices et courtoisies croisés ont finit d’enfermer le journalisme dans
une classe et dans une caste.
Serge Halimi conclu, optimiste, que la lucidité est une
forme de résistance et, comme dans le cas du plan Juppé, la vie sociale n’est
pas toujours soumise à l’écran.
La démonstration est redoutable, la dissection des
mécanismes précise, rigoureuse et nécessaire. Indémodable !
LES NOUVEAUX CHIENS DE GARDE
Serge Halimi
114 pages – 30 francs
Éditions Liber-Raisons d’agir – Paris – novembre
1997
Nouvelle édition actualisée et augmentée :
160 pages – 6 euros
Raisons d’agir – Paris – janvier 2005
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