À leur demande, il précise ce qu’il a pu déjà expliquer dans ses autres ouvrages : le code de comportement spontané qui se superposait au code officiel, système d’interdits et de prescriptions imposés par les autorités allemandes et la crise de l’initiation.
Primo Levi, après plusieurs tentatives de théorisation, a conclu que le hasard était le facteur dominant dans la capacité à survivre.
Il rappelle que la nourriture était l’obsession principale et qu’au contraire il était maladroit d’évoquer les chambres à gaz. Le déporté était hébété. Sa sensibilité et son émotivité étaient comme inhibées, ce qui lui permettait de tenir jusqu’à la fin de la journée en ne se préoccupant que des réalités immédiates et quotidiennes, en refoulant le reste.
Il veille toujours à ne jamais généraliser ce qu’il présente comme son expérience personnelle, à un endroit précis, à un moment donné. Il entend faire de son récit un acte d’accusation, non dans un but de représailles, de vengeance et de punition mais en tant que témoignage, presque de nature juridique.
Il explique comment la solidarité s’effondre lorsque la captivité s’accompagne d’un degré d’oppression extrême, au profit de la survie personnelle.
Les croyants acceptaient leur condition comme un châtiment divin car tout ce que Dieu décide doit être accepté. Au contraire, en tant que laïc, Primo Levi considérait comme la plus grande iniquité possible que rien ne pouvait justifier ou expliquer, le comble de l’injustice, de la sottise et de l’irrationalité, cette punition sur la base d’une idéologie abstraite, pour la faute d’être né, parce que juif, donc autre.
Il considère que le système nazi était diabolique, capable d’entraîner tout le monde sur la voie de la cruauté et de l’injustice, les bons comme les mauvais.
Il explique le faible taux de suicide par le fait que dans les camps l’être humain tendait à se rapprocher de l’animal et que le suicide est un acte humain. Les animaux ne se suicident pas.
Cette discussion éclaire la personnalité et les intentions de Primo Levi. Son soucis constant d’être juste et précis, impressionne.
LE DEVOIR DE MÉMOIRE
Primo Levi
Entretien avec Anna Bravo et Federico Cereja enregistré le 27 janvier 1983
Traduit de l’italien par Joël Gayraud
98 pages – 3,50 euros.
Éditions Mille et une nuits – Paris – Juillet 1997
Du même auteur :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire