« De 1936 à 1939, eut lieu en Espagne ce que certains historiens, versés en littérature, ont appelé « la dernière guerre romantique ». Pour ceux qui l’ont vécue, ce fut simplement « la guerre » ». C’est ainsi que Carlos Giménez prévient son lecteur. Pas de politique dans ce dodu recueil d’anecdotes dessinées, mais des récits qui racontent la guerre du côté des populations, du côté des victimes.
La faim est omniprésente, préoccupation principale et obsessionnelle. « La faim. Une faim terrible qui prive les êtres humains de leur dignité et fait d’eux des mendiants ou des voleurs, des égoïstes sans esprit de solidarité. Une faim terrible. Une faim humiliante et sans pudeur. La faim du découragement et des larmes. Une faim messagère, annonciatrice de mort. »
Le courage est naturel, spontané : c’est l’abnégation des parents qui se privent pour leurs enfants. La lâcheté est plus calculée : des entrepreneurs dénoncent leur associé pour s’en débarrasser.
La barbarie est présente dans les deux camps : soldats républicains brutaux et avinés qui incendient une église, franquistes qui arrêtent arbitrairement un passant pour remplacer une connaissance dans un camion de prisonniers.
L’histoire du chat de ce petit garçon, sacrifié pour sauver les enfants des voisins de la famine, résume en quelques sortes ces interminables mois de souffrances et d’atrocités.
« Quand tout ça sera fini, on comptera les morts : mille, cent mille… mais personne ne pourra compter les larmes, le malheur, l’angoisse, la souffrance… toute cette torture interminable. »
Puis, le quotidien des files d’attente interminables, des épidémies, des bombardements sur Madrid, fait place à l’humiliation de devoir vivre sous la tutelle fasciste et son lot de vengeances, de devoir mendier son pain aux vainqueurs.
Peu, pas de place pour la politique donc dans ces pages même si « les autres » sont les ennemis et si la responsabilité est renvoyée à « ceux qui les premiers ont donné l’ordre de tirer ». Le regard de Carlos Giménez n’est pourtant pas neutre : la guerre opposait les démocrates contre les fascistes ; elle est belle et bien perdue. S’il rapporte les abus des deux camps, il sait qu’ils ne sont nullement comparables tant ceux des franquistes dépassent en quantité, en durée, en acharnement, en intensité et en cruauté.
Conçue essentiellement à partir de témoignages, cette bande dessinée historique brosse le quotidien brutal de quelques humbles madrilènes, avec justesse, en évitant les pièges du pathos et de l’emphase romantique.
LES TEMPS MAUVAIS - Madrid 1936-1939
Carlos Giménez
244 pages – 35 euros.
Éditions Fluides Glacial – Paris – Mars 2013
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