Au moment de la guerre de Deux Cents Ans entre les villes et les campagnes, les villes ont été coupées les unes des autres par une sorte de jungle verte. Seuls deux dixièmes des habitants de la planète n’ont survécu. Désormais, retranchés et protégés par la Muraille Verte, ils vivent selon les Tables du Temps. Chaque matin, à la même heure et à la même minute, tous se lèvent comme s’ils ne faisaient qu’un. À la même heure, par millions, ils se mettent Unitairement au travail et le soir, Unitairement, ils terminent leur journée. Comme « fondus en un corps unique aux millions de bras », à la même seconde fixée par les Tables, ils portent leur cuillère à leur bouche, sortent pour la promenade, se rendent à l’amphithéâtre, dans les salles d’exercice de taylorisme, s’endorment. Tous vivent à la vue de tous, dans des appartements et des bureaux entièrement cloisonnés de verre, toujours inondés de lumière, excepté pendant l’Heure Privative de leur jour sexuel. Selon la Lex sexualis « Tout Numéro a droit – en tant que bien sexuel – à tout autre numéro ». « Il n’y a plus le moindre prétexte à l’envie, le dénominateur de la fraction du bonheur est égal à zéro, la la fraction tend vers un infini merveilleux. »
Pourtant la beauté du monde (et notamment de la fort intrigante I-330) va plonger D-503 dans le chaos, le faire redevenir un individu, sensible et soumis au doute, capable d’émotions, coupable d’imagination. Attiré par cette femme pour laquelle il va éprouver désirs et sentiments interdits, il va progressivement abandonner ce monde raisonnable pour « un monde ancien, délirant, celui de la racine de -1 ». Il va cesser d’être un Numéro, une composante, pour devenir une unité, revendiquer une liberté qu’il ingorait. Bref, il va « développer une âme » !
Evgueni Zamiatine écrit ce roman dystopique en 1920. Interdit de publication en URSS, il préférera s’exiler. On y reconnait bien entendu des ingrédients du « Meilleurs des Mondes » d’Aldous Huxley et plus encore de « 1984 » de Georges Orwell qu’il a sans aucun doute inspirés. Moins réputé, il n’est pourtant pas moins intéressant et tout aussi efficace.
NOUS
Evgueni Zamiatine
Traduit du russe par Hélène Henry
240 pages – 21 euros
Éditions Actes Sud – Collection « Exofictions » – Arles – Mars 2017
Première parution en anglais en 1924 et en russe en 1952.
Voir aussi :
Pour info, c'est une nouvelle traduction.
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