La légende se construit, se tricote par l’accumulation des péripéties qui semblent toutes être des actes fondateurs. Les trois frères, chacun à sa façon, contribuent au développement de la petite boutique de coton à Montgomery, en Alabama, inventant de nouveaux métiers « intermédiaires » pour conquérir de nouveaux marchés. Les accidents de l’histoire, la Guerre de sécession, l’abolition de l’esclavage, la crise de 1929 et les deux Guerres mondiales, servent de marche pied à leur ascension puis à celle de leurs descendants. Tout devient source de profits : le café, le tabac, le sucre, le charbon, le pétrole, le train, l’aviation, le cinéma…
Si le développement perpétuel est bien le moteur de l’histoire, le cynisme, l’immoralité de l’entreprise sont souvent soulignés :
« Ce n'est sans doute pas pour rien
que les enfants jouent à faire semblant
d'être instituteurs, médecins ou peintres,
et qu'aucun
jamais
ne propose de "jouer à la banque" :
celui qui interprète le banquier
doit en effet rafler l'argent des autres
et les priver de goûter :
quel drôle de jeu est-ce là ! »
« Notre objectif
est une planète Terre
où l’on achète pas par besoin
Mais où l’on achète par instinct. »
« Nous, nous faisons le travail
le sale travail
où seuls comptent l’argent et la ruse. »
Tel un rapsode, Stefano Massini brode son récit avec des reprises régulières de séquences, d’éléments narratifs ou descriptifs, selon le principe de l'épithète homérique, martelant ces répétitions pour marquer et imposer son rythme endiablé. Il emporte son lecteur dans le tourbillon de la course à la modernité, l’accélération incessante du progrès, en abusant des retours à la ligne systématiques, jusqu’à l’essoufflement final. Les rêves jouent un rôle prophétique et amalgament la réalité, comme pour accentuer la métaphore. Métaphore quasi littérale.
C’est une histoire du capitalisme qu’il nous donne à lire, depuis l’accumulation primitive du capital grâce à l’esclavage jusqu’aux dérives du capitalisme financier, avec les accointances incestueuses entre les milieux économiques et politiques, l’exploitation généralisée au service exclusif du profit. Accessoirement, c’est aussi une histoire de l’Amérique.
Le seul intérêt de cette adaptation romanesque de sa pièce de théâtre CHAPITRES DE LA CHUTE – Saga des Lehman Brothers est qu’elle touchera certainement un plus large public.
LES FRÈRES LEHMAN
Stefano Massini
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer
850 pages – 24 euros
Éditions Globe – Paris – Août 2018
Titre de l’édition originale : Qualcosa sui Lehman – Mondadori Libri – 2016
Du même auteur :
Très juste dans votre conclusion !
RépondreSupprimerJe dois reconnaître que je ne serais probablement jamais venu à cette histoire sans sa version romanesque...
RépondreSupprimer