Si l’asthme est connu depuis Homère, c’est Charles Blackley, médecin dans le Lancashire qui a compris, dans les années 1870, que le rhume des foins était déclenché par les pollens et touchait des membres de l'aristocratie et de la bourgeoisie qui avaient émigré en ville lors de la révolution industrielle alors que les familles paysannes semblaient protégées. En 1906, le pédiatre autrichien Clemens von Pirquet proposa le terme « allergie » pour nommer la « réaction anormale, exagérée et inadaptée du système immunitaire consécutive au contact avec une substance étrangère », qu’il observait chez certains enfants. Puis Alexandre Besredka, immunologue à l’Institut Pasteur, jeta les bases de la désensibilisation.
Marie-Monique Robin rappelle que seule une minorité du quintillion* de microbes sont dangereux pour la santé des humains, qu’un contact avec la forme atténuée d’un virus peut protéger contre une infection grave, en déclenchant une immunité adaptative, que la symbiose est une caractéristique du fonctionnement du vivant, que le microbiome est l’ensemble des virus, bactéries et champignons vivant dans notre corps et sur notre peau, et compte 189 000 milliards de microbes. Notre microbiote intestinal ou « flore intestinal » contient 100 000 milliards de bactéries commensales (qui vivent avec nous dans une relation symbiotique). Les premiers micro-organismes proviennent de la mère, au moment de l’accouchement par voies naturelles, puis le contact avec l’environnement permet d’entrainer le système immunitaire et à une grande diversité de bactéries de coloniser l’intestin. Par ailleurs, l’usage excessif d’antibiotique déséquilibre le microbiote intestinal, ce qui peut provoquer de nombreuses maladies inflammatoires.
Elle revient sur les observations de l’allergologue finlandaise Tari Haahtela, déjà évoquées dans son ouvrage précédent, à propos de la Carélie, région à cheval sur la Finlande et l’Union soviétique, partagée par le rideau de fer pendant plus de quarante ans. La différence de développement a permis de mettre en évidence que le système immunitaire des Finlandais est hyperactif et réagit dès que se présente une substance étrangère, même inoffensive, tandis que celui des Russes sait fait la différence entre le soi et le non-soi. Les enfants finlandais vivaient dans un environnement trop stérile qui avait empêché l’acquisition de leur immunité adaptative.
la chercheuse allemande Erika von Mutius, « la papesse de l’asthme et des allergies », a mis en lumière ce qu’elle a nommé « l’effet de ferme » : les tout petits enfants confrontés à un bouillon de cultures, notamment par des séjours à l’étable et la consommation de lait cru, éduquent leur système immunitaire et sont à l’abris des excès inflammatoires.
Une étude « longitudinale », baptisée PASTURE, a suivi des bébés et leur famille jusqu’à leur majorité, démontrant que « la prise d’antibiotiques par la mère pendant la grossesse augmente considérablement le risque d’eczéma et d’allergie alimentaire pendant la première année de son enfant », également que « l'exposition à une grande diversité de microbes pendant la grossesse et les quatre premières années de la vie est primordiale pour un bon équilibre du système immunitaire ». Une autre a comparé des fermes qui pratiquent une agriculture industrielle et des communautés amish.
Depuis le Paléolithique, les vers intestinaux ont coévolué avec les humains, apprenant à moduler le système immunitaire pour éviter d’être expulsés, protégeant par la même occasion l’organisme des désordres inflammatoires. Des chercheurs développent d’ailleurs de nouveaux médicaments contenant… des œufs de vers intestinaux ! D’autres études, également présentées, attestent que les pays où les helminthiases sont endémiques, le taux de mortalité de la Covid est très faible. « Ici, en Afrique, nous n'avons pas compris la panique qu’a provoqué la pandémie dans les pays occidentaux car, sur le continent, le paludisme tue chaque année au moins 500 000 personnes, majoritairement des enfants. Dans l'indifférence générale… » explique Gaël Maganga, vétérinaire et virologue gabonais.
Marie-Monique Robin revient également sur les conséquences de la déforestation, responsable de la réduction de la biodiversité et de la « fabrique des pandémies », sur l’importance de « l’effet dilution ». Ces mécanismes biologiques fonctionnent de la même façon dans le microbiote intestinal. Nous ne reprenons ici le détail d’aucune étude, mais signalons que sont rapportés jusqu’aux protocoles des expériences. Ouvrage de vulgarisation scientifique, il ne fait toutefois pas l’économie des démonstrations de ce qu’il avance, sans pour autant noyer les lecteurs.
Sont également rapportées les études sur les rapports entre la faible diversité microbienne et l’obésité, sur les conséquences pour le microbiote de l’imprégnation de glyphosate et de bisphénol A, des antibiotiques dans les pratiques médicales et vétérinaires.
D’une façon générale, l’ensemble des chercheurs interrogés dénoncent « une réglementation qui encourage l'uniformisation et l’appauvrissement de la qualité nutritive des aliments en raison d'une “vision archaïque de l’hygiène“ qui ne tient pas compte des connaissances acquises au cours de ces trois dernières années sur le rôle bénéfique des microbes pour notre santé ». Des préconisations sont aussi évoquées : l’ « ensemencement vaginal » pour pallier au déficit d’apport de bonnes bactéries consécutif aux accouchements par césarienne inévitable, l’allaitement, un spray nasal avec des poussières d’étable, la végétalisation des cours d’école et de crèche, la sylvothérapie pour favoriser le contact avec les effluves des arbres, la promotion de « la saleté propre » pour en finir avec l’hyperhygiénisme, l’agroécologie.
Comme le rappelle aussi Marie-Monique Robin, l’effet Semmelweis désigne « la tendance comportementale consistant à s’accrocher à des croyances préexistantes et à rejeter des idées qui les contredisent, en dépit des preuves adéquate », du nom d’Ignaz Semmelweis, médecin hongrois qui contribua à l’hypothèse de la cause microbienne des maladie infectieuse et au développement de l’hygiène, au XIXe siècle, considérés comme farfelus car remettant en cause les pratiques. Par un étrange retournement, c’est donc désormais l’excès d’hygiène qui est désormais contesté. Encore une fois, il s’agit de « sortir de notre conception compétitive et prédatrice de la vie, qui prévaut depuis Darwin, en donnant à la collaboration une place centrale ».
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
* 1 suivi de 31 zéros, soit plus que les étoiles de l’univers.
VIVE LES MICROBES !
Comment les microbiomes protègent la santé planétaire
Marie-Monique Robin
272 pages – 20,50 euros
Éditions La Découverte – Paris – Septembre 2024
www.editionsladecouverte.fr/vive_les_microbes_-9782348084737
De la même auteure :
LA FABRIQUE DES PANDÉMIES - Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire
LE MONDE SELON MONSANTO - De la dioxine au OGM, une multinationale qui vous veut du bien
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