À l’encontre de l’idée « savamment entretenue » selon laquelle la France aurait été préservée des « dérives terroristes » pendant ce que l’on nomme communément « les années de plomb », Hazem El Moukaddem propose une chronologie commentée des mouvements révolutionnaires armés français de 1968 à 2000. Il expose les faits et retranscrit leurs expressions politiques, dans l’objectif « de déjouer la négation et l’oubli ».
Alors qu’en Italie, la classe ouvrière est très homogène, malgré la division entre ouvriers du sud et ouvriers du nord de la péninsule, en France, la classe prolétarienne est « profondément hétérogène » : l'apartheid institutionnel et le racisme ordinaire s’ajoutent aux problèmes de classe. « C'est pourquoi en France la guerre de classe et la lutte anti-impérialiste ont été immédiatement étroitement liées. » En Italie, le mouvement révolutionnaire s'arme face à la stratégie de la tension mise en œuvre par l'État, les services secrets de l'OTAN et les groupes d'extrême droite. En France, l'explosion des crimes racistes (ratonnades menées par des militaires en uniforme, par des membres du Service d’Action Civique (SAC), par des anciens de l’OAS,…), suite à la nationalisation de l'industrie pétrolière par le gouvernement algérien, en février 1971, la Gauche prolétarienne (GP) se radicalise. « Comme dans le cas des crimes de guerre coloniale, la mémoire de ce pays est défaillante ! » Alors que l'antiterrorisme s'est attaché à « fabriquer de l'unanimité autour de la dépolitisation et de la criminalisation des résistances du mouvement révolutionnaire », l'extrême gauche a largement participé à ce large consensus. Pourtant, entre 1968 et 1976, il y a eu trois fois plus d’attentats en France qu’en Italie et en Allemagne réunies. « Une autre vulgate bien entretenue » présente l’action armée comme « une désespérance consécutive à l’échec insurrectionnel ». Mais l’État français, considéré comme « l’un des principaux créateurs de l’antiterroriste moderne », s’est avéré particulièrement doué : « La négation du conflit est l'axe principal des méthodes anti-insurrectionnelles. »
LA GAUCHE PROLÉTARIENNE ET LA NOUVELLE RÉSISTANCE POPULAIRE (1969–1973)
L’auteur revient sur l’origine du mouvement, avant sa fondation à l’automne 1968, avec les Groupes de Protection et d’Autodéfense (GPA) qui affrontent, dans les années 1960, les groupes fascistes et combattent la police qui protège le meeting d’Occident, le 7 février 1968. Aussitôt formée, la NRP, branche armée de l’organisation maoïste de la GP, multiplie les actions : tabassages de petits chefs, sabotages, incendies, enlèvement du député Michel De Grailly, rapporteur de la loi instituant la Cour de Sûreté de l’État et de la loi anticasseurs, attentat contre le journal Minute, tentative d’élimination du collaborateur Paul Touvier,…
Suivent quelques communiqués issu de l’important matériel théorique qui a eu une grande influence en France et en Europe, notamment à propos de l’autonomie et de l’autodéfense populaire. On comprend la stratégie mise au point pour entraver « l’encerclement par le silence, […] par la calomnie et la provocation », pour saper les forces politiques de l’ennemi et « renforcer le camp du peuple ». « De quoi dispose-t-on face à la télé ? De rien d'autre que de faire une opération “spectaculaire“, qui prenne de court l'appareil de manipulation de l'ennemi, qui l’oblige à faire passer tout ou partie de la vérité. »
Si l’on est pas – en 1973 – encore dans un régime fasciste, celui-ci se développe dans des secteurs entiers de l'industrie et de l’État : « Quand un “ministre de la culture“ répartit subtilement les crédits, manie subtilement la censure, etc., ce n'est pas encore le fascisme ; mais quand il ose dire carrément : “ceux qui ne plairont pas au gouvernement, ils pourront se brosser pour les crédits“, là il y a le fascisme qui pointe. »
LES GROUPES D'ACTION RÉVOLUTIONNAIRE INTERNATIONALISTE (1973–1974)
Après l’arrestation d’une dizaine de membres du MIL (Movimiento Iberico de Libéracion), la coordination de l’ex-MIL se réunit avec d'autres groupes libertaires et autonomes, espagnols et toulousains, à Paris et à Toulouse, en novembre et décembre 1973, et fonde les Groupes d'action révolutionnaire internationaliste (GARI) qui vont organiser des attentats, des braquages et des enlèvements pour obtenir leur libération. Le 2 mars 1974, Salvador Puig Antich est garroté, en réponse à l’attentat contre Carrero Blanco.
Là aussi, une sélection de communiqués éclaire leurs prises de position, par exemple celui du 1er juillet 74 : « À aucun moment il n'est question de dire que seule une forme de lutte (celle que tous appellent l'action directe ou le terrorisme) peut être valable, mais il est inadmissible que cette forme, pour être violente et illégale, soit séparée des autres quand elle s’avère nécessaire. »
LES BRIGADES INTERNATIONALES (1974–1977)
Des anciens de la GP et des jeunes militants autonomes décident de créer les Brigades internationales à la suite du putsch chilien, « après avoir constaté l'incapacité des organisations révolutionnaires à proposer une riposte conséquente ». Ils exécuteront notamment le colonel Trabal, attaché militaire de l'ambassade d'Uruguay à Paris, qui avait dirigé la guerre contre les Tupamaros–MLN, le général Zentano Anaya, ambassadeur de la dictature bolivienne et artisan principal de l'assassinat d’Ernesto Che Guevara, Homayoun Keykavoussi, attaché culturel de l'ambassade iranienne et agent de la Savak, la police politique du Shah. Dans une interview à Libération, ils déclarent, le 1er juillet 76 : « Pour nous, le pistolet est un outil de propagande au même titre que le stylo. »
LES NOYAUX ARMÉS POUR L'AUTONOMIE POPULAIRE (1977)
Des ex maos, anciens GP et jeunes autonomes fondent les NAPAP qui vont exécuter Jean-Antoine Tramoni, l'ancien responsable de la sécurité des usines Renault-Billancourt qui avait assassiné Pierre Overney en 1972, « non pas comme des vengeurs, mais parce qu'il était le symbole du terrorisme patronal impuni ». Ils menacent de répondre « coup pour coup ».
ACTION DIRECTE (1978–1988)
En 1977, des militants du mouvement révolutionnaire issus des expériences précédentes, initient un processus de convergence et établissent une coordination politico–militaire interne au mouvement autonome. Une chronologie recense les principaux attentats réalisés sous différents sigles, contre les locaux où sont décidées les plus importantes décisions des politiques de l’État. Des scissions ont également lieu. À l’automne 1983, paraît le mensuel L’International qui sera l’outil de communication et de contre-information sur le processus en cours.
Un communiqué du Commando Pierre Overney justifie l‘exécution de Georges Besse, PDG de Renault, le 17 novembre 1986. Courroie transmission entre l'État et le CNPF, il était « l'élément essentiel de la politique de restructuration économique et sociale du secteur public industriel ». Au reproche qu’il était interchangeable à son poste, est rétorqué qu’il fallut quand même plusieurs mois avant de lui dégoter un successeur.
Sont pointées du doigt, un certain nombre de dissidences : « En France, le développement de l'organisation de la violence révolutionnaire, après s'être correctement engagé dans la voie que traçait l'analyse objective, c’est, par un beau matin, dissout dans le velléitarisme de ses initiateurs, dissociés de la première heure, partis voir s’il n'y avait pas dans la nouvelle philosophie et le journalisme libéré un meilleur moyen d'accéder sans frais et sans casse à l'histoire et à ses caniveaux. »
Les analyses de la mondialisation, de « la société du contrôle total », de la généralisation de la culture du fric, des mythes rassurants de la « démocratie » et des « droits de l'homme », exposées dans les nombreux documents reproduits, auraient très bien pu être écrites aujourd’hui, dans des termes voisins, preuve de leur sagacité et de leur précocité.
Dans une interview au Secours rouge allemand, en février 2007, Jean-Marc Rouillan revient sur son enfance, son engagement, la défaite face au « rouleau compresseur de la révolution néoconservatrice ».
GUÉRILLA DU MOUVEMENT & AUTONOMIE
De nombreux groupes, parfois éphémères, ont aussi coexisté et été actifs, dans les années 1970 et 1980, en soutien aux prisonniers politiques et au luttes anti-carcérales, aux grèves et aux résistances contre les restructurations, contre le nucléaire et dans le cadre internationaliste et anti-impérialiste : la Coordination autonome, la Coordination autonome des révoltés en lutte ouverte contre la société (CARLOS), le Collectif des communistes révolutionnaire, le Groupe Bakounine Gdansk, etc, les Hooligans internationalistes.
Ces derniers expliquent, dans une interview à Libération, le 15 février 1983, que « le terrorisme est une appellation du pouvoir (et en France, elle date du pouvoir pétainiste) pour stigmatiser toute opposition illégale. Les résistants français puis algériens ont été des “terroristes“ ». Ils rappellent « que ceux qui sont opposés à la violence n'oublient pas que chacun est complice de la violence exercée en son nom par les gouvernements. »
LES ANTIFA RADICAUX (1986–1998)
Si les opérations antifa étaient plutôt dirigées contre les représentations des dictatures étrangères, comme l'Espagne de Franco, le Portugal de Salazar, la Grèce des colonels, le Chili de Pinochet, des affrontements ont également eu lieu contre des composantes de l'extrême droite, comme Occident et Ordre nouveau. Sont rapidement présentés L'Affiche rouge, scission d'Action directe juste après l'élection de Mitterrand, le Black War et les Francs-tireurs partisans, dans la région marseillaise.
Panorama qui donne la parole et leur juste place à des mouvements dont les actions et les discours ont été condamnés à l’oubli. Hazem El Moukaddem a réalisé là un beau et rigoureux travail de reconstitution chronologique.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
PANORAMA DES GROUPES RÉVOLUTIONNAIRES ARMÉS FRANÇAIS, DE 1968 À 2000
Hazem El Moukaddem
368 pages – 17 euros
Éditions Al Dante – Marseille – Mars 2013
www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=6283&menu=0
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