5 juillet 2025

UN ANTIFASCISME DE COMBAT

Maître de conférence en histoire contemporaine à l’École normale supérieure, Pierre Salmon s’intéresse à un aspect peu exploré de la guerre d’Espagne : les filières d’approvisionnement en armes des républicains et des révolutionnaires en lutte contre le putsch franquiste de 1936, à partir des archives policières, militaires, douanières et judiciaires françaises confrontées aux témoignages, aux articles de presse et à l'historiographie existante.

Par crainte d'une guerre civile, sinon mondiale, la cession de matériel, rendue possible par la clause secrète d'un traité commercial signé en 1935, est refusée par la France qui, à partir du 1er août, ébauche un projet de “non-intervention“ progressivement ratifié par les différentes nations européennes. Pour contrer cet embargo, la République espagnole structure alors un marché d'approvisionnement, mélangeant circuits légaux et illégaux. La plus grande partie du matériel provient d'Union soviétique, parfois vendu à un prix prohibitif. Pour certains militants, anarchistes, trotskistes, socialistes ou communistes, l'illégalité est légitime. Aussi décident-il d'apporter leur soutien à leurs camarades espagnols. Car en face, le camp franquiste bénéficie de celui, en hommes et en armes, de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste, qui leur livrent 1 500 avions, 4 000 pièces d'artillerie, 500 000 fusils-mitrailleurs et presque 100 000 soldats.

Le contexte compte pour beaucoup puisqu’en France vient d’être élu un gouvernement de Front populaire, dirigé par Léon Blum, grâce à une union des gauches contre le péril fasciste suite aux émeutes du 6 février 1934 à Paris. Le pacifisme né à la fin de la Première Guerre mondiale est sérieusement mis à l’épreuve, notamment par ceux qui défendent un « antifascisme de combat ». En France comme en Espagne, « la question du respect de la légalité  – ou son contournement – constitue une des lignes de fracture d'un mouvement aussi hétéroclite que morcelé. » « Pour l'opinion publique, les discours sur les profiteurs de la guerre et les “marchands de canons“ nourrissent l’opprobre du trafic des armes. » L’Union soviétique, quant à elle, a réussi à incarner le soutien à la République espagnole, en raison des hésitations de la SFIO, de la faiblesse des libertaires et des trotskistes. Un militantisme marginal s’oppose toutefois au gouvernement de Front populaire tout en se maintenant à l'écart du mouvement de soutien communiste.


Pierre Salmon raconte les premiers jours du conflit, comment le peuple en armes lutte contre les insurgés. « En contexte de rupture partielle de la légalité républicaine, la nouvelle importance des comités locaux conduit à une “atomisation“ du pouvoir. Et pour cause, la perte du monopole des armes a empêché de contenir un processus révolutionnaire rapide et violent. » Celles-ci viennent cependant rapidement à manquer. La République espagnole est isolée diplomatiquement, affectée par l’image des cruautés commises à l’égard des religieux et des notables, plus largement relayées que les massacres réalisés par les militaires insurgés. Une commission d’achat est créée à Paris, avenue George-V, fin août 1936 afin de centraliser les démarches entreprises dans toute l'Europe et jusqu'en Amérique du Nord. En parallèle, les forces ouvrières s’organisent pour acquérir du matériel de guerre.

Alors que la France est touchée par une vague de grèves et d’occupations d’usines, une partie de ses décideurs politiques, effrayée par le renversement brutal de l'ordre républicain au sud des Pyrénées, soutien la décision de « non-intervention ».

Après la nomination d'un nouveau gouvernement républicain en septembre 1936, Luis Araquistáin est nommé ambassadeur en France et centralise les achats d’armes, rendus possibles grâce à l'utilisation d'un système falsifié de licences de ventes et d'exportations. Ce marché « gris » permet d'obtenir du matériel, notamment des avions, des pièces d'artillerie, mais aussi des armes légères et des munitions dans des volumes importants, mais à un prix très élevé (de 30 à 40% plus chers), en raison du nombre d'intermédiaires et des risques importants. Toutefois, les difficultés rencontrées accélèrent le virage déjà engagé auprès de l'Union soviétique.

L’auteur présente chacun des « comités », parfois concurrents, qui, en France, s’activent, lancent des campagnes de collectes de dons, organisent des meetings, envoient vivres, médicaments et parfois des armes. Il relève aussi un certain nombre de malversations entreprises pour financer les achats. Il documente les réseaux de « la contrebande antifasciste » qui impliquent en définitive relativement peu de militants au regard des 14 000 personnes (étrangers compris) qui quittent la France pour combattre en Espagne, démarche perçue comme plus « noble », ainsi que leur lien avec les « criminels de métier ».

Le PCF, engagé dans l’alliance politique du Front populaire qui a décidé de l’embargo, organise secrètement l’envoi de volontaires et d’armes. Nombre de militants n’ont de toute façon pas attendu les consignes du Parti. Le zèle dans la surveillance frontalière, mais aussi les périodes de relâchement, le soutien militant de certains fonctionnaires, la corruption d’autres, sont aussi détaillés. L’auteur s’attache également à analyser la place des femmes, longtemps invisibilisée comme dans beaucoup d’histoire de clandestinité, la Résistance par exemple.


Étude précise d’une période à propos de laquelle on pensait que tout avait été dit.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



UN ANTIFASCISME DE COMBAT

Armer l’Espagne révolutionnaire — 1936–1939

Pierre Salmon

Préface de Nicolas Offenstadt

256 pages – 21,90 euros

Éditions du Détour – Bordeaux – Avril 2024

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