Condamnés aux travaux forcés à perpétuité le 22 mars 1905, Marius Jacob (1878-1954) correspond avec sa mère, seule personne autorisée, tout au long de sa détention puis de sa déportation au bagne de Cayenne.
Il est beaucoup question de procédure, d’instruction, de vices de forme et de stratégie de défense, de recours et d’appels, de délais et d’espoirs, même si Marius Jacob se montre, au départ, plutôt indifférent vis-à-vis de ce qu’il peut attendre de la Justice : « C'est bon pour les honnêtes gens de pleurer et de souffrir dans cette vallée de larmes, ceux qui sont sûrs de jouir de toutes les félicitées dans un monde futur. Mais moi, pauvre bandit inconvertible qui suis désigné à servir d’anthracite dans le foyer de la chaudière du sieur Lucifer, je fais en sorte de jouir des plaisirs de ce bas monde autant que mes moyens me le permettent. Pour l'instant, ces plaisirs consistent à se moquer de tout. » Il considère la société en général avec beaucoup de cynisme, conscient de « l'incompatibilité de l'égalité et de la loi » : « La loi n'est pas une justice, c'est une tumeur. » « Si la loi était juste, il n'aurait pas besoin de tout son attirail de gendarmes, de policiers, de soldats armés de fusils, de sabres et de revolvers pour la faire observer : tous les hommes s’y soumettraient sans contrainte, comme l'on se soumet aux lois naturelles. » La lecture de ses comptes rendus d’audience témoigne de son état de révolte permanent. À l’interrogatoire d’identité, il se déclare « entrepreneur de démolitions » et enchaîne « boutades » et « coups de cravache », leur sert « du Juvénal en bouillabaisse et de l’Aristophane en aïoli ». Il défend avant tout et à chaque instant sa dignité : « Vous juge, vous magistrat, en me disant : “accusé, levez-vous“, “accusé, découvrez-vous“, tout en demeurant assis et couvert vous-même, vous prétendez être supérieur à moi : chose que je conteste. Vous avez beau vous draper dans une robe rouge, vous n'êtes ni plus ni moins qu'un homme en tout point semblable à moi. D'autres part, comme Darwin, je crois descendre du singe et non du chien. Or on n’a jamais vu un singe lécher la main qui le frappe ou qui va le frapper. Voilà, monsieur, les raisons pour lesquelles je demeure assis et couvert. » Le ton est donné. « Si je ne suis pas un pasteur, je suis un révolté protestant et je protesterai jusqu'à mon dernier souffle de vie contre le contrat social, comme l'appelle Jean-Jacques. »
Il n’en devient pas indifférent pour autant. Outre l’attachement à sa mère, il se laisse distraire par les contorsions d’un moineau qui a pris ses habitudes sur le rebord du fenestron de sa cellule. Et, arrivé aux îles du Salut, il « explor[e] pouce par pouce les coins les plus vierges de la forêt du code », puis missionne sa mère d’engager plaintes et recours. Pour échapper à « la crise de nihilisme qui [l]’étreint » et ne pas être « absolument schopenhauerisé », il se démène pour obtenir « une occupation capable de captiver toute [s]on attention », le travail de maçon « laiss[ant] trop les rênes libres à la folle du logis ». Il évoque aussi, très laconiquement, quelques tentatives d’évasion.
Outre l’intérêt documentaire et historique, le témoignage de Marius Jacob sur cette « extermination à la française » des « rebuts de la société », livré avec une gouaille inimitable, frappe par sa détermination et sa digne rage.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
EXTERMINATION À LA FRANÇAISE
Lettres de prison et du bagne à sa mère
Alexandre Jacob
162 pages – 30 francs
Éditions L’Insomniaque – Collection « À couteaux tirés » – Paris – Janvier 2000
158 pages – 9 euros
Éditions La Pigne – Saint-Dié-des-Vosges – Juin 2024
lapigne.org/livres/extermination-a-la-francaise/
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