23 septembre 2025

LA FRANCE ÉTERNELLE, UNE ENQUÊTE ARCHÉOLOGIQUE

L’archéologue et préhistorien Jean-Paul Demoule entend vérifier si la France vient réellement « du fond des âges », si son identité et ses racines immuables existent. En douze chapitres concis, ils relatent l’histoire d’un territoire aux frontières très fluctuantes et dont la population, depuis l’arrivée des premiers humains il y a un million d’années, a été régulièrement « grand-remplacée ».


De un million d’années à –50 000 ans : l’arrivée 

Les premiers «  humains », séparés des primates depuis environ dix millions d’années, évoluèrent en Afrique jusqu’à ce que certains d’entre eux s’aventurent en Asie. Ces erectus continuent à évoluer : Dénivosiens, Néandertaliens,… Les restes les plus anciens, retrouvés sur le territoire actuel de la France, remontent à « seulement » 500 000 ans.


De –50 000 à –6 000 : les sapiens

Au paléolithique supérieur, les premiers sapiens quittent à leur tour l’Afrique, vers –160 000 ans, arrivent en Europe vers –45 000 ans, se croisent (dans tous les sens du terme) avec d’autres espèces (interfécondes), pour rester seuls vers –30 000. Les couleurs de peau commencent à varier et la sélection sexuelle renforce les caractéristiques physiques régionales au fil des générations. Si l’essor de la pensée scientifique et des classifications de la nature au siècle des Lumières n’a pas empêché la mise en forme du racisme, avec des classifications raciales, celles-ci seront abandonnées à la fin du XIXe siècle.

À partir de –12 000 ans, avec la fin de la dernière glaciation, les forêts méditerranéennes remplacent la steppe, fractionnant les communautés humaines, et le niveau des mers remonte de 130 mètres. Le mésolithique dure environ quatre millénaires, jusqu’à l’arrivée des agriculteurs du Proche-Orient vers –6 000 ans avant notre ère.


De –6 000 à –4 000 ans : le boom démographique du à l’agriculture sédentaire

S’il n’y eu pas à proprement parlé de soudaine « révolution » mais plutôt des processus variables selon les régions, étalés sur plusieurs siècles, voire millénaires, l’implantation de l’agriculture permit quoiqu’il en soit à l’humanité de passer de deux ou trois millions d’individus aux huit milliards actuels, en à peine dix mille ans, c’est-à-dire moins de 5% de la longévité de sapiens. Ce boom démographique entrainera des migrations et des mélanges de populations, la nécessité constante de « gains de productivité » par l’invention de nouvelles techniques. L’auteur document cette lente « colonisation », partie du Proche-Orient et qui gagne peu à peu ce que les Européens nommeront Europe pour avoir un continent à eux. Conjointement, les inégalités apparaissent, ainsi que des « chefs », attestés par les biens précieux déposés dans leurs tombeaux monumentaux, et la violence de masse. Il signale qu’ « une partie des Français et des françaises actuelles ont en moyenne un tiers de leur patrimoine génétique issu de celui des chasseurs-cueilleurs mésolithiques, et plus d'un autre tiers provenant des agriculteurs. »


De –4 000 à –750 ans : les premiers « chefs »

Les périodes de l’âge du cuivre et de l’âge du bronze voient se développer les sociétés à chefferies. De nombreux petits groupes sont identifiés, puis quatre zones distinctes, débordant largement les limites actuelles du territoire français, et les brassages généralisés se poursuivent avec les « invasions » (?) indo-européennes, sur lesquelles l’auteur revient longuement, analysant les différentes hypothèses.


De –750 à –52 avant notre ère : les Gaulois

En substance, « nos ancêtres ne sont les Gaulois que depuis la fin du XIXe siècle, lorsque fut mise en place l'école républicaine, gratuite, laïque et obligatoire ». En effet, ceux-ci ayant été vaincus à Alésia, les rois de France préféraient descendre d'un imaginaire Francion, supposé fils de Hector et rescapé de la guerre de Troie. Les aristocrates, eux, se voyaient descendants des conquérants francs. D’ailleurs, l’abbé Sieyès, dans Qu’est-ce que le Tiers-États ?, voulait renvoyer « dans les forêts de Franconie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d'être issues de la race des conquérants ». La IIIe République, née de la défaite de Sedan, pouvait revendiquer une autre défaite, celle d’Alésia, comme origine, d’autant que la colonisation romaine pouvait rendre plus acceptable la « mission civilisatrice » entreprise en Afrique et en Asie du Sud-Est. Vichy aussi s’en revendiqua pour justifier une « collaboration » supposée fructueuse entre vainqueurs et vaincus.

Pourtant, en cet âge du fer, la Gaule, composée de nombreuses communautés distinctes, est tripartite – comme la décrit d’ailleurs scrupuleusement Jules César, avant de la réduire approximativement au territoire français pour mettre un terme à dix ans de conquêtes –, étendue jusqu’en Bohême et aux îles britanniques, tandis qu’au bord de la Méditerranée, apparaissent les premières cités-États, fondées par les Grecs, près de trois millénaires après celles de Mésopotamie et d’Égypte.

Au XIXe et au XXe siècle, les élites françaises préférèrent toutefois ne se trouver de racines qu’en Grèce, à Rome et en Orient, plutôt que chez les gaulois barbares. Aussi, contrairement à tous les autres pays de monde, le musée du Louvre ne conserve que des objets provenant de ses régions méditerranéennes, tandis que ceux issus du sol métropolitain sont relégués au musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.


De –120 à 300 : des Gaulois aux Romains.

« La conquête romaine fut assurément l'un des plus sérieux grand remplacement qu’aura connu l'actuel territoire français », non pas du fait d’une immigration massive mais d’une acculturation des sociétés gauloises par Rome, entamée bien avant la bataille militaire puisque les élites gauloises, comme Vercingétorix par exemple, se formaient régulièrement à Rome.


De l’an 300 à l’an 700 : Les « invasions barbares » et le baptême de Clovis.

Jean-Paul Demoule remet aussi en cause la « grossière caricature » de ces barbares (Goths, Wisigoths, Huns, Francs,…)  qui étaient déjà, pour la plupart, chrétiens, en arrivant et qui s’installèrent dans le cadre de traités. Et le fameux baptême de Clovis ne fut qu’un ralliement à la religion dominante. Les rois de France s’en sont fort peu réclamés et les dynasties mérovingienne puis carolingienne eurent longtemps mauvaise réputation, étant des Germains, jusqu’à la IIIe République.


De 700 à 1450 : le Moyen Âge.

Le royaume de Charlemagne, à sa mort, incluait une grande partie de l’Allemagne actuelle, de l’Italie et le nord de l’Espagne, si bien que les Allemands le revendiquent tout autant. Il sera divisé entre ses trois petits-fils.

Les troupes arabo-andalouses qui occupèrent l’Espagne pendant sept siècles, franchirent les Pyrénées en 717 et s’installèrent en Languedoc et en Provence – la Septimanie – jusqu’en 973 !

Au cours de la seconde moitié de IXe siècle, les Vikings attaquent régulièrement les villes, tout le long des côtes atlantiques et jusqu’au Pas-de-Calais, remontant les fleuves, assiégeant plusieurs fois Paris, jusqu'à ce que l’un des chefs, Rollon, obtienne du roi de France, en 911, la concession de ce qui deviendra le duché de Normandie.

Guillaume le Conquérant, un de ses descendants, annexera l’Angleterre après la bataille d’Hastings, en 1066, empire qui s’agrandit au fil des unions, si bien que la « France » fut réduite à un tiers médian de l’actuel territoire. Plus que l’amorce d’un sentiment national, la guerre de Cent ans est surtout la preuve de la porosité entre les dynasties.

Outre ces conflits, le « Petit Âge glaciaire » et la Grande Peste décimèrent la population européenne, ramenant celle de la France de 18 à 10 millions, c’est-à-dire à son niveau de l’époque gauloise.

Les Croisades entraînèrent aussi d’importants départs de marcheurs.

Si le latin reste langue officielle dans de nombreux domaines, demeurant langue obligatoire pour la réaction des thèses jusqu’en… 1903, une multitude de dialectes et de langues prospèrent, au point qu’il était normal d’être multilingue. « Le monolinguisme, si caractéristique des Français d'aujourd'hui, est bien une situation récente. »


De 1450 à 1789 : de la Renaissance aux Lumières.

Après la « conquista » espagnole, achevée avec la prise de Grenade en 1492, une partie des Juifs séfarades s’installa dans le Sud de la France, puis de nouveau à partir de 1609, lorsque Philippe II expulsa les convertis d’Espagne. Des communautés étaient cependant déjà présentes. « La France a certes, parmi d'autres, des racines chrétiennes, mais aussi bien juives. »

À partir du XVe siècle, les Tsiganes apparurent également et, mieux accueillies, les reines étrangères, avec leurs suites nombreuses, tandis que s’étend le premier empire colonial français, en Amérique du Nord, en Louisiane, dans les Antilles, en Guyane, à Madagascar, à l’île Bourbon et à l’île de France, en Inde. De nombreux protestants sont forcés à l’exil.

En 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts, signée par François 1er, impose le français dans les textes juridiques (en vérité « une des langues maternelles de France ») mais vise plus et avant tout l’utilisation du latin – qui est de moins en moins compris – qu’elle n’instaure le français comme langue officielle du royaume. Celui-ci commence toutefois à être codifié. « La langue n'était alors pas un critère d'identité nationale, mais d’identité sociale et culturelle. »


De 1789 à 1914 : révolutions politiques et industrielles.

L’État-nation s’impose comme nouvelle conception de société. Le premier empire s’est considérable rétrécit lorsque Charles X se lance à la conquête de l’Algérie, puis de l’Afrique Occidentale française, de l’Afrique Équatoriale française, de ce qui va devenir l’Indochine, etc.

Si le racisme « scientifique » n'existait pas avant le XVIIIe siècle – tous les humains étant censés descendre d’Ève et d’Adam, via Noé – en 1859, le médecin Paul Broca fonde la société d'anthropologie de Paris afin d'étudier les « races humaines ». Toutefois, vers la fin du XIXe siècle, les anthropologues abandonnent peu à peu cette notion et Paul Topinard, un disciple de Broca, affirme en 1891 que « la race n'existe pas ».

Tandis que des Français émigrent vers les différentes colonies, de nombreux immigrants viennent s’installer : des réfugiés politiques (des Polonais, des Juifs fuyant les pogroms,…) mais aussi de la main-d’œuvre attirée par la révolution industrielle (des Italiens, des Belges,…).


De 1914 à 2000 : colonisations et décolonisations.

L’auteur retrace l’évolution de l’empire coloniale, qui ne cesse de se rétrécir, et les vagues d’immigrations successives : réfugiés arméniens, « Russes blancs », juifs encore, espagnols et italiens, vietnamiens, hmongs,… et travailleurs polonais, algériens, espagnols et portugais, africains, roms,…


De 2000 à 2025, et après : migrations, immigrations, émigrations.

Il évoque enfin les « situations postcoloniales » de Mayotte et de la Nouvelle-Calédonie, la pseudo « submersion migratoire » qui n’a aucune réalité statistique, le « séparatisme des classes les plus aisées » et le « séparatisme scolaire »,…

Avec une précision et un sens de la concision remarquables, Jean-Paul Demoule démontre qu’il est inutile de rechercher une continuité territoriale, une unité linguistique ou culturelle à la France. Contrairement à ce qu’affirmait Fernand Braudel dans L'Identité de la France, celle-ci n’est pas « une nation forgée à partir d'un peuple, homogène depuis le paléolithique et dont les grandes invasions n’ont que peu modifié le visage au cours des siècles ». Indispensable, pour contrer les actuels replis identitaires, reposant, comme on peut le constater, essentiellement sur une vision nationaliste fantasmée.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



LA FRANCE ÉTERNELLE, UNE ENQUÊTE ARCHÉOLOGIQUE

Jean-Paul Demoule

296 pages – 17 euros

La Fabrique éditions – Paris – Septembre 2025

lafabrique.fr/la-france-eternelle-une-enquete-archeologique/



Voir aussi :

CHARLES MARTEL ET LA BATAILLE DE POITIERS



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