Le journaliste David Dufresne dévoile être le petit-fils de l’essayiste et militante féministe Françoise d’Eaubonne, décédée en 2005. À partir de ses journaux et de ses archives, déposés auprès de l’Imec (l’Institut Mémoire de l’édition contemporaine), mais aussi de ses propres souvenirs et des notes blanches des RG, il brode une sorte de biographie à sa façon, révèlant le mystère de l’attentat contre la centrale nucléaire de Fessenheim, que même l’inspecteur Harry Callahan n’avait pas réussi à percer.*
Dans ses mémoires inédites, elle raconte en effet cette expédition sur le chantier du réacteur, en compagnie de son complice Gérard Hof, psychiatre défroqué et sympathisant de la bande à Baader, le 3 mai 1975 : « Notre action est l'expression de la protestation primordiale de la vie contre le capital coupable de génocide, dernier stade de la société patriarcale d’oppression. » La double explosion sera revendiquée par le commando Puig Antich-Ulrike Meinhoh, dont les communiqués figurent en annexe. S’il s’agit du fil conducteur de cet ouvrage, bien d’autres engagement sont évoqués : le soutien au droit à la soumission dans la guerre d'Algérie, l'homosexualité, alors interdite, avec la création du Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR), la défense des prisonniers politiques, le féminisme, bien sûr. Françoise d’Eaubonne a développé le concept d’écoféminisme : « Non pas le “matriarcat“, ou le pouvoir aux femmes, mais destruction du pouvoir par les femmes. », écrit-elle dans Le Féminisme ou la mort, en 1974. Car « la domination masculine des femmes et de la nature procède d'une racine commune : ce salaud de patriarcat ». Elle revendique l’intersectionnalité avant l’heure : « Tout combat poussé jusqu'au bout rencontre tous les autres. »
Elle forgera d’autres néologismes : sexocide, phallocrate, contre-violence,… et commettra quelques autres écosabotages : contre le siège de Framatome, à Courbevoie, etc.
Ses rencontres et ses amitiés se comptent par dizaines : Simone de Beauvoir, Lola Miesseroff, Marc Payen, Helyette Bess,… David Dufresne a interviewé les survivant·es qui contribuent, avec beaucoup d’honnêteté et parfois de rancœur, à ce portrait polyphonique. La figure d’Ulrike Meinhoh, quasi vénérée, domine. Les liens, en tout cas son… enthousiasme ?, pour les camarades de la RAF et leur activisme, sont indéniables : « Entre 1974 et 1981, la police attribue rien qu'à l'extrême gauche plus de trois mille attentats. Contrairement à ce qui se raconte, la lutte armée, pour moins sanglante qu’elle fut, comparée à l'Italie des Brigades rouges ou à l'Allemagne de la RAF, a bien eu lieu en France », en ces temps « où la technopolice, et la surveillance globale, n'existaient que dans les Philip K. Dick ».
Les relations familiales, compliquées, sont commentées, en particulier la mère qu’elle n’a pas su être. Son enfance est racontée, la Résistance, la manifestation du 14 juillet 1953, les émissions à Radio mouvance, la direction de L’Internationale, publication d’Action directe, mai 68, le tout dans un joyeux désordre ébouriffé, à l’image de sa vie même.
Impressionnant palmarès d’une vie dédiée à l’engagement politique et à l’écriture sous toutes ses formes : du tract à la chanson, de l’essai à la littérature. Cette enquête de David Dufresne sur son infatigable grand-mère, empreinte de tendresse et d’admiration, lui rend hommage autant qu’elle contribue à la sortir de l’ombre dans toute sa complexité.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
*Dans L’Inspecteur ne renonce jamais, le personnage, joué par Clint Eastwood, prononce en effet les deux mots, utilisés comme titre de cet ouvrage.
REMEMBER FESSENHEIM
Enquête intime sur Françoise d'Eaubonne, pionnière éco-féministe et impossible grand-mère
David Dufresne
304 pages – 22 euros
Éditions Grasset – Paris – Septembre 2025
www.grasset.fr/livre/remember-fessenheim-9782246832881/
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