28 octobre 2025

COMMENT NAÎT LE FASCISME

Alors que la pensée d’Antonio Gramsci (1891-1937) subit actuellement une récupération par l’extrême droite, ces extraits d’articles, la plupart publiés dans L’Ordine Nuovo, montrent qu’il fut un adversaire résolu du nationalisme et du fascisme. Livrés à chaud, ces réflexions n’en permettent pas moins de caractériser le fascisme.


Le philosophe italien définit le fascisme comme « la phase préparatoire de la restauration de l'État » : le « durcissement de la réaction capitaliste » et l’ l'intensification de la lutte de celle-ci contre les besoins vitaux de la classe prolétarienne. « Le fascisme est l’illégalité de la violence capitaliste, et la restauration de l’État passe par la légalisation de cette violence. » « Alors que le fascisme assassine des militants de la classe ouvrière, l'État restauré les mettra “légalement“ en prison et, lorsqu'il aura rétabli la peine de mort, il les fera “légalement“ exécuter par un nouvel agent de l'État : le bourreau. »


Avec le développement de la grande industrie du capitalisme financier, à la fin du XIXe siècle, la petite bourgeoisie a commencé à se démanteler. Perdant toute importance et toute fonction vitale dans le secteur de la production, elle devient « une pure classe politique et se spécialise dans le “crétinisme parlementaire“ ». « Le fascisme est la dernière “représentation“ donnée par la petite bourgeoisie urbaine sur les planches de la vie politique nationale. » Puis, pendant la guerre, le Parlement perdant toute influence, elle devient antiparlementaire et tente de corrompre la classe ouvrière et la paysannerie en remplaçant l’idée socialiste par « un curieux mélange idéologique d'impérialisme nationaliste, de “vrai révolutionnairisme“ et de “national-syndicalisme“ ». Le pouvoir officiel de l'État, affaibli et usé par la guerre, elle révèle « sa vraie nature de servante du capitalisme et de la propriété foncière, d'agent de la contre-révolution », en essayant de s'associer aux patrons les plus riches. « Elle substitue, sur une échelle de plus en plus grande, la violence privée à l’ “autorité de la loi“. »


Considéré à l'échelle internationale, le fascisme – alimenté par la petite et moyenne bourgeoisie, qui lui fournit ses effectifs – est « la tentative de résoudre les problèmes de production et d'échange à coups de mitraillette et de pistolet ».


« Le fascisme s'est présenté comme l’anti-parti, il a ouvert ses portes à tous les candidats et, en promettant l'impunité, il a permis à une multitude incompétente de couvrir d'un vernis d’idéaux politiques vagues et nébuleux un débordement sauvage de passions, de haine, de pulsions. » Antonio Gramsci considère, imbu de théorie communiste, que le fascisme ne pourra être éradiqué que par un nouveau pouvoir d'État, un État dont le pouvoir sera entre les mains du prolétariat. Il dénonce également la stratégie du parti socialiste, plus exactement son absence de stratégie.


Les fascistes ont commis un nombre important d'actes criminels qui demeurent impunis grâce à la complicité de dizaines de milliers de fonctionnaires de l'État, en particulier des corps de sécurité publique et du pouvoir judiciaire. Gramsci juge vain de compter sur les erreurs de l’adversaire et de le croire incompétent ou impuissant. Il pense que seuls une large insurrection de masse pourra briser le coup d'état réactionnaire.


Il précise également que « tout État est dictatorial », car aucun État ne peut se passer de gouvernement. « Tant qu’on aura besoin d'un État, donc il sera historiquement nécessaire de gouverner les hommes, quelle que soit la classe dirigeante, le problème se posera d’avoir des chefs ou au moins un “chef“. » Il explique également comment Mussolini ne pouvant devenir « le chef du prolétariat », devint « le dictateur de la bourgeoisie », sans besoin de forger une classe mais seulement le personnel d'une administration. S’attachant à analyser plus précisément le cas italien, il montre comment « la “démocratie“ a produit le fascisme quand elle a senti qu'elle ne pouvait plus résister à la pression de la classe ouvrière même dans des conditions de liberté seulement formelle. »


Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, le 27 avril 2025, les drapeaux rouges ont été banni du cimetière « acatholique » de Rome lors de la commémoration de la mort d’Antonio Gramsci, afin de respecter les sensibilités politiques des autres personnes enterrés en ce même lieu selon la direction du site, nous apprend Marie-Anne Matard-bonucci dans sa préface. C’est dire l’urgence de la lecture de cet opuscule afin de dissiper les leurres et autres poudres de perlimpinpin, de rétablir quelques évidences décidément intemporelles. Car comme le rappelle ici fort justement Gramsci : « L'illusion est la mauvaise herbe la plus tenace de la conscience collective ; l'Histoire enseigne, mais personne ne l'écoute. »


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



COMMENT NAÎT LE FASCISME

Antonio Gramsci

Traduit de l’italien par Vincent Raynaud

Préface de Marie-Anne Matard-Bonucci

120 pages – 10 euros

Éditions Grasset – Collection « Les Cahiers Rouges » – Paris – Octobre 2025

www.grasset.fr/livre/comment-nait-le-fascisme-9782246843177/



Voir aussi :

RECONNAÎTRE LE FASCISME


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