Depuis 2005, les États-Unis extraient de leur sous-sol du gaz de schiste, rendant le pays autosuffisant en énergie. Mais la fracturation hydraulique nécessaire n’est pas sans lourdes conséquences pour l’environnement. Cette enquête explique ces techniques et leurs dangers, fait le point sur les enjeux tant économiques qu’écologiques, fait le tri parmi les nombreux arguments entendus et dévoile les accointances entre le pouvoir politique et les industriels, les risques géopolitiques.
En France, le ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, Jean-Louis Borloo signe en mars 2010, trois permis d’exploration pour vérifier la présence de gaz de schiste dans une zone totale de 15 000 km2, soit 8% du territoire français, en Ardèche, dans la Drôme et sur le Larzac. Quand les élus et les habitants concernés, qui n’ont jamais été informés, découvrent la menace quelques mois plus tard par la presse, notamment avec un article de Fabrice Nicolino dans Charlie Hebdo, ils se renseignent et se mobilisent très rapidement. Le film documentaire Gasland, tourné aux États-Unis en 2008 par Josh Fox, sera un puissant outil d’information. Dans le Val de Marne, un autre permis autorise la recherche de pétrole de schiste.
En pleine campagne électorale des cantonales, le gouvernement fait cependant marche arrière. Un rapport est bien sûr commandé puis la première loi au monde qui interdit la fracturation hydraulique est adoptée… sans pour autant annuler les permis qui sont au contraire prolongés.
Les auteurs racontent l’histoire du Corps des mines, constitué de hauts fonctionnaires. « Purs produits de la technocratie française, ils professent une foi inébranlables dans l’efficacité, le progrès, la technologie, le pragmatisme et, en conséquence, une impatience considérable devant le « manque d’efficacité » des politiciens. » Beaucoup se retrouvent aussi dans les directions de grandes entreprises, ce qui favorisent les accointances entre l’administration et le secteur économique. Ils font évidemment partie des experts, notamment au sein du Conseil Général de l’Industrie, de l’Énergie et des Technologies (CGIET) et Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD), qui vont, sans surprise, rendre un avis globalement favorable à la poursuite des recherches des « hydrocarbures de roche-mère », puisque leur mission fondamentale est d’assurer l’approvisionnement du pays.
Lorsqu’ils enquêtent sur le permis de Château-Thierry délivré à Toreador Energy France, les auteurs découvrent une vraie caricature en la matière puisque l’administrateur de l’entreprise, Julien Balkany, est le demi-frère de Patrick Balkany. De même, les industriels belge Albert Frère et québécois Paul Desmarais sont des proches du président Sarkozy et bénéficieront eux-aussi d’accords industriels et financiers.
Ils expliquent aussi très concrètement les techniques de forages qui nécessitent 15 millions de litres d’eau. Aux États-Unis, 35 000 puits environ sont fracturés chaque années. Des produits chimiques y sont dilués sans que jamais leur noms soient communiqués. Une scientifique, Théo Colborn, va cependant réussir à identifier pas moins de 944 produits commerciaux utilisés, dont elles va retenir 353 substances chimiques qui les composent, pour étudier leur toxicité.
Plus de 80% ont des effets sur la peau, les yeux ou le système respiratoire. La moitié peuvent impacter le cerveau ou le système nerveux. 40% ont des effets négatifs sur le système immunitaire ou cardiovasculaire. 37% sont des perturbateurs endocriniens, 25% potentiellement mutagènes et cancérigènes. Seulement 10 à 15% seraient inoffensives. Un chercheur français, André Picot, va confirmer ces résultats : « une cinquantaine de produits cancérogènes ou toxiques pour la reproduction, doivent être impérativement bannis ».
D’autre part, l’eau captée à moins d’un kilomètre d’un forage de gaz de schiste contient dix neuf fois plus de méthane que de l’eau puisée dans d’autres conditions. Dans le film Gasland, on peut voir ces images incroyables d’eau du robinet qui s’enflamme.
Les fluides de fracturation traversent des couches géologiques et rapportent des mélanges plus dangereux encore que ceux injectés, en particuliers des composés très radioactifs. C’est le cas, par exemple, sur 179 des 240 puits inspectés en Pennsylvanie.
Sans parler du bruit et de l’odeur, des centaines de passages de camions quotidiens, des secousses sismiques engendrées, des paysages ravagés… pour un taux de récupération de 1 à 2% contre 20 à 40% habituellement dans l’industrie pétrolière et gazière.
La consommation mondiale de pétrole est passée de 400 000 barils par jour en 1900 à 87 millions en 2010, dont 60% sont dédiés aux transports. Depuis 1973, lorsque les pays de l’OPEP ont quadruplé le prix du baril pour les pays qui soutenaient Israël dans la guerre du Kippour, le risque de pénurie est pris en compte mais sans toutefois jamais envisager de « sevrage » énergétique. Pour réduire sa dépendance, la France a alors lancé un titanesque programme nucléaire. Les gouvernements et les industriels, plutôt que de renoncer, cherchent en général des substitutions. C’est pourquoi l’estimation que les réserves de gaz de schiste seraient aussi importantes que celles de gaz conventionnel fut pour eux une heureuse nouvelle.
Dick Cheney dirigeait la firme Halliburton depuis 1995, lorsqu’il devint vice-président de George W Bush en décembre 2000. Aussi les intérêts de l’industrie pétrolière furent-ils bien servis : autorisation de la fracturation hydraulique, exemptée de la loi sur l’eau et de la loi sur l’air, avec falsification d’informations par son administration.
Dans le cadre des négociations successives sur le climat (Kyoto, Rio, Copenhague,…), les lobbys des industriels du secteur ont financé des recherches climato-sceptiques, afin de faire passer les gaz de schistes pour une « énergie verte », arguant que le gaz naturel émet 45% de CO2 de moins que le charbon, et 30% de moins que le pétrole. Non seulement ceci n’est exact que dans le cas d’une combustion complète mais surtout, les fuites sont inévitables : 0,01% avec les puits de gaz conventionnels et 1,9% pour gaz de schistes en phase initiale, puis 3,6 à 7,9% pendant la production, pour le gaz de schistes. Les quantités sont considérables : l’équivalent des émissions de 35 millions de voitures ! Or le méthane a un pouvoir réchauffant bien supérieur au CO2.
De plus, la demande mondiale en énergie fossile ne cessant de croître, toute nouvelle source sera consommée et ne viendra pas, bien évidemment, en substitution. Ces investissement se ferait plutôt aux dépends des énergies renouvelables.
Les auteurs font ensuite un rapide tour du monde des ressources. Les États-Unis qui en 2000 extrayait 11 milliards de m3 de gaz de schiste en produisent douze fois plus dix en plus tard, devenant le premier producteur mondial devant la Chine. Les industriels et l’administration sont cependant très inquiets de leur rentabilité réelle. La performance des puits européens est jugée « minable » par rapport aux évaluations annoncées pour séduire les investisseurs. La situation au Canada, en Pologne, Chine, Algérie, Libye, Afrique du Sud, Argentine, Australie, Inde, Turquie, Suède, Irlande… est aussi présentée. Ils reviennent en France pour conclure que l’histoire n’est pas encore écrite et que les citoyens ne semblent pas prêts à accepter la même confiscation de débat qu’avec le nucléaire dans les années 60.
Même s’il date un peu, cet ouvrage a le mérite de brosser un panorama clair de tous les enjeux.
LE VRAI SCANDALE DES GAZ DE SCHISTE
Martine Jobert et François Veillerette
242 pages – 18 euros
Éditions Les Liens qui Libèrent – Paris – Août 2011
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