Les journalistes Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon ont enquêté sur les identitaires, les ultras-nationalistes, les survivalistes, les révisionnistes, les antisémites et les racistes, les royalistes, les néonazis, les néofascistes, les skins, les catholiques intégristes, tous ces groupuscules et micro-partis qui gravitent autour du Rassemblement national, rencontrant quelques figures influentes, visitant des lieux emblématiques. À l’aide d’informations extrêmement précises, obtenues auprès de leurs informateurs dans les services de renseignement, ils brossent un panorama de cette « ultra-droite » xénophobe, nationaliste et violente, obsédée par le « grand remplacement » et prête à passer à l’action.
En 2004, les renseignements généraux en estimaient l’effectif entre 2500 et 3500 militants, répartis entre cinq « familles » : les skinheads (1000 à 1500 personnes), les identitaires (environ 800), les ultranationalistes (quelques centaines), les néonazis et les hooligans, avec des flux et des reflux entre ces groupes. En 2013, « la lutte contre le mariage pour tous » leur a donné une cause commune, puis la manifestation « Jour de colère » du 26 janvier 2014, organisée par le Printemps français, derrière lequel se cache Action française, réussit la convergence. Les auteurs documentent également et avec beaucoup de précisions, la présence de ces groupuscules au commencement du mouvement des Gilets jaunes en 2018 dont le « poujadisme » initial était « plus que RN-compatible » : premiers appels au blocage relayés par de nombreux sites d’extrême droite, présence d’ « antisémites notoires » dans les cortèges parisiens (Hervé Ryssen, Yvan Benedetti, Frédéric Jamet, Dieudonné, Alain Soral), saccage du magasin de souvenirs de l’Arc de Triomphe auquel participent les Zouaves de Paris et des membres du Bastion social emmenés par Valentin Linder. Ils utilisent d’ailleurs la néo-catégorie forgée par la police, d’ « ultra-jaune », pour désigner les Gilets jaunes qui imitent « le mode opératoire des black blocs ». Il est dommage qu’il n’évoque pas l’évolution de cette tentative d’influencer le mouvement (à ce sujet on pourra lire : LA RÉVOLTE DES GILETS JAUNES - Histoire d’une lutte de classes), laissant entendre une proximité durable, signalant au contraire une « convergence entre Gilets jaunes, ultra-gauche et ultra-droite constatée par les gendarmes de la région bordelaise », depuis la fin 2019 !
Ils présentent également les milieux catholiques réactionnaires d’Angers, depuis les écoles primaires et secondaires de la Fraternité de Saint-Pie-X, « longtemps excommuniée, mal réintégrée », l’Université catholique de l’Ouest (UCLO), surnommée « la Catho » et qui regroupe 10 000 étudiants, la communauté de l’Emmanuel, clé de voûte du Renouveau charismatique en France, l’Alvarium, bar associatif dirigé par Jean-Eudes Gannat, fils de Pascal Gannat, ancien chef de cabinet de Jean-Marie Le Pen.
Ils rencontrent Logan Djian, ex-gudard, antisémite et révisionniste, pro-Bachar el-Assad, gérant du bar « le Crabe-tambour » dans le XVe arrodissement, fréquenté par la jeunesse d’extrême droite parisienne, fiché S et réfugié à Rome comme une dizaine de figures de l’extrême droite.
Renaud Camus, l’idéologue du « grand remplacement », les recevra également dans son château gersois. Sa « formule publicitaire scintillante d’efficacité » a réveillé la « peur viscérale de l’invasion » : pas besoin de démontrer, de chercher une réalité démographique, il suffit de montrer, de regarder. En 2017, il fonde avec Karim Ouchikh le Conseil national de la résistance européenne (CNRE) et il présente, aux élections européennes de 2019, une liste qui rencontrera quelques déboires : la Ligne Claire.
Les Identitaires, fondé en 2002, devenu parti politique en 2009, complété par une section jeunesse en 2012 : Génération identitaire, adepte de l’agitprop et pensée comme un « Greenpeace de l’anti-immigration ».
Le Bastion social, groupuscule néo-fasciste « plus borderline », résurgence du GUD, proche des Italiens de CasaPound, dissout en 2019. Avec une logique d’implantation locale et d’occupation du terrain, par l’ouverture de bars (Lyon, Aix, Chambery,…) et de petits commerces, il était l’un des mouvements les plus actifs.
Les Brigandes sont un groupe de chanson française, aux paroles nationalistes, lié à une communauté de familles regroupées autour de Joël Labruyère, installée à Salvetat, dans la montagne Noire.
Une partie de l’ « ultra-droite à propension terroriste » se prépare à la guerre civile : « Pour beaucoup de militants, l'affrontement inter-ethnique, inévitable, serait un grand moment cathartique qui permettrait de refonder la nation par la violence et l’épuration. » Dans la foulée de l'attaque de Charlie Hebdo, un groupuscule d'autodéfense, Volontaires pour la France (VPF), est créé, comptant un nombre important d'anciens membres des forces de l’ordre, parmi lesquels on trouve le général Piquemal, radié des cadres de l'armée pour avoir participé à une réunion interdite organisée par Pediga, et Renaud Camus. En 2017, des divergences apparaissent : AFO (Action des forces opérationnelles), le bras armé du mouvement, « à tendance survivaliste, paranoïaque et paramilitaire », regroupant des partisans de l'action directe, prend ses distances. En 2018, après la prise d'otage de Trèbes, dans l’Aude, un projet d'empoisonnement de viande halal est envisagé. Par ailleurs, Logan Nisin, fervent admirateur d’Anders Behring Breivik, avait monté l’opération OAS avec son organisation dont l’importance n’est pas précisée, pour assassiner Jean-Luc Mélenchon, Christophe Castaner puis des musulmans dans le but de « provoquer la terreur pour enclencher une remigration spontanée ». Les auteurs s’entretiennent également avec « Frédéric », « premier loup solitaire de l’ultra-droite », militaire radicalisé, emprisonné en 2013 pour avoir jeté un cocktail Molotov sur une mosquée.
Plusieurs milliers de volontaires étrangers, militants du Rassemblement national, de Génération identitaire ou du Bastion social, mais aussi de Pediga, du NPD et de l’AFD en Allemagne, de l’UKIP, du Brexit Party et de Britain First au Royaume-Uni, de Vox en Espagne, ont rejoint les rangs des combattants des républiques séparatistes de Lougansk et Donetsk : la guerre du Donbass, en Ukraine, leur a servi d'entraînement pour un conflit à venir. La crise des réfugiés leur offre un nouveau lieu de convergence, l’île de Lesbos, en Grèce.
Avec le confinement et la crise sanitaire, les mouvements nationalistes-révolutionnaires, comme ils l'avaient fait lors du mouvement des Gilets jaunes, font entendre leur voix, non comme des « petits groupuscules fachos », mais de simples citoyens en colère. « Une confusion savamment entretenue des genres et des idées, une ébullition hautement toxique, le grand bouillon en ligne de l’ultra-droite dans lequel se trempent jour après jour des esprits enfiévrés. »
À Chauny, petite ville de 11 000 habitants dans l’Aisne, le chercheur en sciences politiques Stéphane François a enquêté sur le mouvement gabberskin, phénomène de contre-culture qui, comme le hooliganisme, est à la fois un vecteur de rapprochement et de défoulement pour des jeunes en colère, et un motif d'embrigadement et de formation politique.
Un long chapitre est consacré à Action française, mouvement royaliste revendiquant 3000 adhérents, dont un réseau de préfets, de ministres, de directeurs de cabinet, de « grands serviteurs de l’État ». Les auteurs ont rencontré son secrétaire général, François Bel-Ker, puis Yvan Benedetti, porte parole du Parti nationaliste français, avec qui ils évoquent Pierre Sidos, son maître à penser, décédé en septembre 2020. Ils citent aussi de nombreux sites internet, plus influents que la presse qui ne s’adresse, elle, qu’aux convaincus. « L’extrême droite n’a pas encore remporté la victoire des urnes, mais elle a contaminé le langage et la pensée de tout un pays. »
Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon ont sensiblement plus nourri leur enquêtes avec des rapports de police qu’avec des études de chercheurs, qu’ils citent nettement moins. Si bien qu’ils ont adopté le système de catégorisation des Renseignements territoriaux : ultra-droite, ultra-gauche, ultra-jaune… Simplification fourre-tout quand il ne s’agit pas de fabrication délibérée d’ennemis intérieurs. Nous nous sommes cependant tenus au vocabulaire qu’ils utilisent dans le soucis de rendre au mieux compte de leurs propos. Ces réserves sémantiques ne doivent cependant pas minimiser l’impressionnante quantité d’informations extrêmement précises contenue dans ces pages et qui constitue une radiographie précieuse, pas plus qu’elles née cherchent à nier le danger que représente ces groupuscules. Nous regrettons par ailleurs que ne soit pas évoquée la question de leur financement. Présentés ici comme désargentés, au contraire du Front national, héritier de la fortune Lambert, on est en droit de s’étonner que Génération identitaire trouve les moyens de louer un bateau et son équipage pendant plusieurs semaines au cours de l’été 2017, pour sa campagne Defend Europe en Méditerranée, afin d’empêcher les sauvetages en mer, puis des hélicoptères pour le blocage de la frontière au col de l’échelle en juin 2020, et des véhicules tout-terrain floqués et flambant neufs au col du Portillon en janvier 2021. De même, si la présence dans cette nébuleuse, de nombre d’anciens policiers, gendarmes et militaires est plusieurs fois mentionnée, le problème du vote à l’extrême-droite de plus de la moitié des forces de l’ordre et la suspicion que cette proximité engendre, ne sont pas du tout évoqués et encore moins analysés.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
LA POUDRIÈRE
Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon
242 pages – 19 euros
Éditions Grasset – Paris – Novembre 2020
www.grasset.fr/livres/la-poudriere-9782246821472
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