16 mars 2022

LA MALADIE BLANCHE

En 1937, l’écrivain tchèque Karel Čapek imagine qu’un virus venu de Chine se répand à une vitesse extraordinaire et décime les plus de quarante ans. Un simple médecin généraliste, le professeur Galén, prétend avoir découvert le remède pour soigner cette « maladie blanche », mais il refuse de communiquer ses résultats tant que « tous les souverains et chefs d'État de la planète » ne renoncerons pas « à tout acte de violence et de guerre ». Il refuse de soigner les riches et les puissants et se consacre aux indigents tant que les dirigeants n’aurons pas signé « un pacte de paix éternelle ».
Les crises servent souvent de révélateurs aux travers des uns et des autres. Celle-ci n’échappe pas à la règle. Il y a ceux qui se réjouissent que cette mortalité subite leur ait permis de progresser très rapidement sur l’échelle sociale (il faut bien remplacer les morts !), le Maréchal, autocrate prêt à entrainer le pays dans la guerre, ou le baron Krüg, propriétaire du principal trust d’armes et munitions : « On aurait dépensé des milliards en armement pour rien ? Une paix éternelle ! C'est un crime, ça. Il n'y aurait plus qu'à fermer les entreprises Krüg, hein ? Et mettre deux cent mille travailleurs sur le pavé, peut-être ? » Intraitable et unanime colère contre « ce petit salaud » qui voudrait « nous laisser crever pour ces conneries utopiques ». Jusqu’à ce qu’ils soient eux-mêmes atteints, bien évidemment…

Doit-on être serviteur de l'État avant d'être médecin ? Les intérêts économique de la nation sont-ils prioritaires ? L’internement des malades dans des camps surveillés (« mais sous surveillance médicale ») sera-il en mesure d’enrayer la progression de la maladie ? La peur est-elle la meilleure conseillère contre la cupidité ? Pourquoi n’arrive -t-on pas à se représenter la maladie avant qu’elle nous touche personnellement ? Une guerre victorieuse est-elle meilleure que la paix ? Faut-il des victimes pour faire « d’un coin de terre une patrie » ? Mais alors, faut-il des patries ? Plutôt la santé ou plutôt les lauriers ?

Outre la troublante sensation de similitude, les questionnements soulevés par Karel Čapek avec cette pièce de théâtre n’ont pas pris une ride : des contradictions à offrir les vaccins au service de l’humanité dans un monde guidé par le seul profit, de la montée des nationalismes et des mesures liberticides en temps de crise, du fleurissement des théories farfelues sur le terreau de l'ignorance (encore pour le profit !), etc. Encore une fois, la réalité rejoint la fiction.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

LA MALADIE BLANCHE
Karel Čapek
122 pages – 16 euros
Éditions du Sonneur – Paris – Mars 2022
www.editionsdusonneur.com/livre/la-maladie-blanche/



Pièce actuellement jouée par la Compagnie Jolie Môme : cie-joliemome.org/?p=8040

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