9 juin 2024

LOIRE


En exergue de cet album touchant et déroutant à la fois, deux citations interpellent le lecteur. Philippe Descola rappelle que de nombreux peuples vivent encore en considérant les non-humains comme des proches, sinon des égaux : parents, amis, collègues,… Bruno Latour défend une vision du monde similaire, dans laquelle « la Loire parle et agit ». Pourtant, cette intention annoncée n’apparait pas clairement dans le récit qui suit, profondément « humain ».


Dans sa bande dessinée précédente, LE DROIT DU SOL, Étienne Davodeau, sur le long chemin entre Pech Merle et Bure, cheminait et devisait avec chercheurs et savants, évoquant la question du nucléaire. On pouvait s’attendre à ce qu’il utilise ici un semblable dispositif, avec des spécialistes de ces questions philosophiques et anthropologiques, dissertant sur les chemins de halage. L’approche est pourtant radicalement différente, moins didactique.
Louis revient dans la maison en bord de Loire où il vécut 5 ans avec Agathe. En effet, celle-ci a « convoqué » toutes celles et ceux qui ont partagé sa vie et vont s’y retrouver. Cette femme que nous ne verrons pas, morte noyée dans le fleuve qui a ensuite emporté et dispersé ses cendres, comme réincarnée en ce cours d'eau omniprésent et nommé sans article, n’en est elle pas une sorte d’allégorie ? Pour forcer le lecteur à ne pas se contenter d’un seul point de vue, Davodeau les multiplie. Dans une séquence très contemplative par exemple, page 22 et 23, il donne à voir son personnage sous différents angles, puis adopte son regard, avant de nous entrainer vers l’envers du « décors », entre les bancs de sable et cette surface où deux jeunes filles taquinent le goujon. Puis, pour orienter son regard vers les autres habitants des lieux, il propose plusieurs séries de doubles pages, organisées en séquences d’images horizontales, souvent muettes, mettant en scène différents habitants ou usagers, humains ou non, animaux ou végétaux.


Le final est d’ailleurs grandiose, s'achevant par une confidence qui sonne comme une invitation : « Je voudrais penser comme un fleuve ». Et puis, il y a cette scène, discrète et pourtant intrigante, avec ces chaises bleues organisées en cercle sur la rive et dans l’eau, symbolisant une assemblée, à l’instar du Parlement de la Loire évoqué en exergue.


Davodeau réussit là un album extrêmement sensible. Ses dessins au trait et à l’aquarelle sont une invitation à la contemplation, rejoignant ainsi le
(très) discret propos qui suggère d’accorder une plus grande attention aux autres vivants.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier



LOIRE
Étienne Davodeau
104 pages – 20 euros
Éditions Futuropolis – Paris – Octobre 2023
www.futuropolis.fr/9782754835572/loire.html


Du même auteur :

UN HOMME EST MORT

LE DROIT DU SOL

CHER PAYS DE NOTRE ENFANCE

LA BALADE NATIONALE- Tome 1 : Les Origines





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