Un rapide exposé biographique met en lumière ses prises de consciences successives : les journées de juin 1848 qui le désintéressent de la théologie au profit de l’histoire, alors qu’il fréquente le collège protestant de Sainte-Foy-la-Grande, le renvoi de la faculté de théologie protestante de Montauban, la découverte des écrits de Proudhon, Fourier et Saint-Simon, la révolte, avec son frère Élie, contre le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, qui les contraint à l’exil en Irlande, où il découvre les conséquence de la Grande famine et du colonialisme britannique. Il débarque en Louisiane en décembre 1852 où l’économie esclavagiste le choque profondément.
À son retour de voyage, il devient rédacteur pour les Guides Hachette, parcourt l’Europe et pratique l’alpinisme. Il se lance dans la rédaction des deux volumes de La Terre. Description des phénomènes de la vie du globe, qui paraîtront en 1868 et 1869, puis d’Histoire d’un ruisseau et Histoire d’une montagne, en 1869 et 1880. Il « n'aura de cesse de répéter, préciser, démontrer que les actions humaines sur la planète ne sont pas sans effets et, dès lors, qu'elles impliquent des responsabilités ». Il note que les humains son « devenus […] de véritables agents géologiques ».
En parallèle, ses intuitions politiques s’affermissent. Son frère Élie rencontre Bakounine et tous deux adhèrent à la section des Batignolles de l’AIT. Puis survient la Commune de Paris, mais le garde national Élisée Reclus sera fait prisonnier dès sa première sortie sur le champ de bataille et subira onze mois d’internement. Toutefois, « ses traces qu'imposent l'évènement dans sa mémoire sont indélébiles, de même que les conditions dans lesquelles il a été détenu marquent durablement son corps. » À partir du printemps 1872, commence un nouvel exil, en Suisse, où il restera jusqu’en 1890. Il participe au congrès de Saint-Imier et devient l’un des principaux théoriciens de la Fédération jurassienne. Après quatre nouvelles années à Paris, chassé par la promulgation des « lois scélérates », il s’installe définitivement à Bruxelles, où il enseigne la géographie physique et la géohistoire, et commence à rédiger L’Homme et la terre.
Roméo Bondon explore ensuite plus précisément sa pensée, notamment le principe de « l’entraide comme moteur de l’évolution », dérivée d’une lecture précoce de L’Origine des espèces. S’il utilise aussi la notion de progrès, il ne la dissocie jamais de celle de solidarité et l’accompagne systématiquement de celle de « régrès ». « Ainsi, toute avancée technique et technologique est évaluée à l'aune de ses effets bénéfiques au plus grand nombre. En ce qui concerne les animaux, Élisée raille volontiers ceux qui leur réservent un destin de machine à produire. » Il adopte, dès ses jeunes années, « une forme de simplicité volontaire ».
Le florilège de fragments d’articles proposé témoigne de son attention pour la nature « profanée » par la « rage d’appropriation » et la brutalité de la spéculation. « Là où le sol s'est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imagination s'éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort. » (in La Revue des deux mondes, 1866). S’il n’a que peu et tardivement commenté ses convictions végétariennes, il trouve des mots forts pour décrire son « horreur du sang versé » et « nos mœurs carnivores » : « Il s'agit d’étendre à nos frères dits inférieurs le sentiment qui déjà dans l'espèce humaine a mis fin au cannibalisme. Les raisons que pouvaient invoquer les anthropophages contre l'abandon de la chair humaine dans l'alimentation usuelle avait la même valeur que celle dont usent aujourd'hui les simples carnivores. » Il s’en prend également à l’élevage et à la chasse.
Avec cette brève introduction à l’œuvre d’Élisée Reclus – exercice toujours périlleux – Roméo Bondon retient l’essentiel en évitant toutefois les simplifications. Il partage son enthousiasme pour ce penseur indissociable de ses pratiques, tout en mettant en lumière la très grande pertinence de sa pensée pour le monde d’aujourd’hui.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
ÉLISÉE RECLUS & LA SOLIDARITÉ TERRESTRE
Roméo Bondon
128 pages – 12 euros
Éditions Le Passager clandestin – Collection « Précurseur·ses de la décroissance » – Paris – Août 2025
De Roméo Bondon :
LE BESTIAIRE LIBERTAIRE D’ÉLISÉE RECLUS
D’Élisée Reclus :
ÉVOLUTION & RÉVOLUTION
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