1 mars 2019

AGISSEZ PAR VOUS MÊMES

Recueil d’un vingtaine d’articles écrits pour le journal anarchiste britannique Freedom entre 1886 et 1902, inédits en français, dans lesquels Pierre Kropotkine présente les bases de l’organisation anarchiste de la société appliquées à un pays entier en situation révolutionnaire, en l’occurrence l’Angleterre de la fin du XIXe siècle.

La crise économique ne peut qu’empirer et ne peut être temporaire puisqu’elle trouve sa cause dans notre système de production qu’il est donc nécessaire de transformer. Les ouvriers en Europe ont compris combien est infime la part des richesses qu’ils ont produites. La réduction du temps de travail ou l’augmentation des salaires cessent d’être leurs uniques exigences. « Chaque jour s’accroît leur désir d’égalité. » « L’esprit de révolte se répand dans les masses. »

Rappelant qu’en dépit de son échec apparent, la « Grande Révolution » de 1789-1793 a contraint l’Europe à mettre en oeuvre son programme : abolir le servage et mettre en place le gouvernement représentatif. Rappelant que « les lois, y compris celles qui ont été adoptées par des corps révolutionnaires, ont surtout sanctionné le fait accompli », il préconise une réorganisation économique basée sur « la limitation du pouvoir de l’État sur l’individu », un « développement naturel résultant de l’effort combiné de tous ceux qui y ont un intérêt, libres des contraintes des institutions actuelles », sous la forme de fédérations, des plus simples au plus complexes.
Il met en garde contre les concessions illusoires que proposeront les classes dirigeantes pour conserver le pouvoir et les instruments de production, pour diviser les travailleurs ; contre la confiance dans les nouveaux gouvernements et contre les préjugés en faveur de l’autorité, de la loi, du gouvernement représentatif, du règne de la majorité, des droits du capital. « L’émancipation des travailleurs doit être l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes. » L’abolition des monopoles ne se fera pas par décrets des parlements nationaux mais sera le fait des individus de chaque localité et de l’entente conclue entre différentes localités : proclamation de communes indépendantes en France, indépendance des municipalité et des provinces en Espagne. Action locale et association libre. En Angleterre, l’idée est mûre de la nécessaire modification de la propriété de la terre.

Si la révolution sociale devait tendre vers une amélioration de l’actuel système de rémunération, elle serait par avance condamnée à échouer et à être « écrasée dans le sang des classes laborieuse ». « Le communisme implique l’expropriation et le refus intégral du principe de la propriété privée, alors que la social-démocratie implique uniquement le transfert de la propriété de la terre et de certaines portions du capital à l’État, et en maintenant le salariat elle conserve le principe de la propriété privée et une distribution en fonction du mérite. » Le soucis immédiat des révolutionnaire doit être de satisfaire immédiatement les besoins en nourriture et en abris décent pour ceux qui étaient rejetés par l’ancienne société. « Le seul moyen équitable de partager le produit du travail commun est de le faire en fonction des besoins de chacun. » Pierre Kropotkine considère que la propriété est « une accumulation de richesse causée par la spoliation des masses par une minorité », que les logements, bâtis par l’humanité, appartiennent à l’humanité. Sitôt les terres proclamées propriété de la nation britannique toute entière, des organisations émergeront « pour en faire des sources de grandes récoltes largement suffisantes pour fournir une grande quantité de nourriture ».
Survolant l’histoire de l’humanité, il démontre comment une minorité (baron-voleur, roi ou parlement) au prétexte de protéger la majorité laborieuse, jouit gratuitement de son travail sans jamais tenir ses promesses, apportant la guerre intérieure et extérieure au lieu de la paix, l’oppression au lieu de la liberté, la misère et le désordre au lieu de la richesse et l’harmonie. C’est pourquoi la nation du futur sera la fédération d’organismes libres au plan économique et politique, organisée selon le principe « pas de chefs ».

À l’objection que des siècles d’éducation individualiste ont rendu les hommes trop imprévoyants, égoïstes, rapaces et serviles pour le communisme libre, pour le communisme anarchiste, il répond qu’il suffit d’éliminer les conditions de ces perversions, de supprimer l’autorité et l’exploitation. Il rappelle que l’émancipation des Noirs ou des vingt millions de serfs en Russie, ne s’ensuivit pas des terribles conséquences annoncées.
Cette révolution ne surviendra pas d’une proclamation solennelle mais de la convergence de victoires indépendantes : « La liberté de chacun ne se crée que parce qu’on la conquiert. »


Fort élégamment et intelligemment enrichi d’illustrations de William Morris et doté d’un appareil critique permettant de parfaitement appréhender la pensée de l’auteur comme le contexte historique, cet ouvrage est le fruit d’un remarquable travail éditorial qui ne rend sa lecture que plus pertinente. Inspirant, nécessaire et évident.



AGISSEZ PAR VOUS MÊMES
Pierre Kropotkine
Avant-propos, notes et traduction de Renaud Garcia
242 pages – 18 euros
Éditions Nada – Paris – Février 2019



Du même auteur :

Voir aussi :

COMMENT NOUS POURRIONS VIVRE de William Morris


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