29 janvier 2020

LES MARCHANDS DE LA PEUR - La Bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire

« La peur constitue un outil politique fondamental pour les classes dominantes. C’est une technique de gouvernement, une machine de légitimation sur la chaîne de production du contrôle. » Les « experts » de la « bande à Alain Bauer » définissent les « nouvelles menaces » (« l’islamisation de la Nation », les « terroristes » et les « casseurs », « l’invasion migratoire » et les « bandes juvéniles du crime organisé ») qui vont générer des marchés dans le domaine du contrôle des classes populaire, tout en passant sous silence toute une série d’insécurités : la misère, l’exploitation et la précarité, les discriminations et la ségrégation, la pénibilité,… Ils collaborent intensivement avec la classe politique, la police, l’armée, l’industrie et les grand médias pour accumuler des profits sur les marchés de la sécurité.

Pour étouffer toute révolte, le capitalisme cherche à réduire les coûts d‘encadrement des classes dominées en diffusant « l’esprit de défense et de sécurité ». Cette idéologie sécuritaire, appareil de propagande et d’endoctrinement, a été conçue pendant les guerres coloniales lorsqu’un système de contre-insurrection a été utilisé pour désigner un ennemi intérieur afin de diviser les dominés et les obliger à collaborer à la répression, avant d’être appliquée aux classes populaires dans l’après 1968. Les idéologues sécuritaires orientent des stratégies politiques susceptibles de profiter aux industries de surveillance, de répression et d’enfermement alors qu’il est démontré que la sécurisation fait augmenter le « sentiment d’insécurité » qui décroît lorsque s’organisent l’entraide et la solidarité. Ces « criminologues », « bénéficiaires secondaires du crime » (Marx), n’ont aucun intérêt à ce que la criminalité baisse ou disparaisse.

Xavier Raufer, de son vrai nom Christian de Bongain, a participé à la fondation d’Occident en avril 1964, organisation se réclamant d’un « nationalisme blanc et chrétien », se référant à l’anticommunisme et au fascisme, puis d’Ordre nouveau à l’automne 1969. Il collabore à la revue L’Élite européenne qui entretient des rapports avec l’agence Aginter Press, officine créée par d’anciens OAS réfugiés au Portugal pour recruter et entraîner des mercenaires en lien avec des groupes fascistes internationaux. Mathieu Rigouste rappelle comment des réseaux clandestins formés par la CIA, armés et entraînés par l’OTAN, ont pratiqué la stratégie de la tension après la Libération, dans tous les pays d’Europe occidentale, pour prévenir des soulèvements pro communistes, en s’adonnant à des provocations violentes et perpétrant des attentats pour justifier l’écrasement des mouvements révolutionnaires et la mise en place d’États policiers, autoritaires et sécuritaires. Xavier Raufer et la branche des idéologues sécuritaires qu’il représente rejouent aujourd’hui cette tactique de la tension. En 1971, il est recruté à l’Institut d’histoire sociale (IHS) par Georges Albertini, collaborateur zélé de Marcel Déat sous Vichy, et publiera des études sur les mouvements révolutionnaires dans Est & Ouest, la revue publiée par l’Institut pour le compte du patronat industriel français et nord-américain, financée par la CIA. En 1979, il rentre à l’Express et s’autoproclame « expert en terrorisme », puis de « l’islamisme », de la « délinquance », des « violences urbaines », de « l’insécurité ». En 1986, il donne des conférences dans les écoles supérieures de la guerre, de la gendarmerie, de la police. Il est désormais le porte-parole des complexes militaro-industriels à l’intérieur des institutions policières et militaires. En 1988, il collabore aux études du secrétariat général de la Défense nationale, puis en 2002, la commission de Défense nationale l’auditionne dans le cadre de la loi de programmation militaire 2003-2008. Il est dès lors capable d’influencer directement les investissements publics.

François Haut, maître de conférences à l’université Panthéon-Assas, lui aussi venu des réseaux d’extrême droite organisés autour d’Occident, dirige le Département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines (DRMCC), « consortium de concepteurs et de représentants en peurs sur le marché de la défense et de la sécurité », créé en 1997, qui oriente les politiques publiques et les intérêts privés vers les marchés de la sécurité notamment grâce au concept du « décèlement précoce ». « Cette notion vise à définir des domaines susceptibles d’être déstabilisés et des « populations » potentiellement menaçantes ». « Il s’agit en l’occurence de fabriquer des raisons d’investir contre des menaces à venir, là où elles n’existent pas encore. »

Yves Roucaute, un des principaux théoriciens du néoconservatisme en France, est spécialisé dans le « conseil » aux gouvernements et défend la privatisation de la sécurité.

Alain Bauer collabore au cabinet du Premier ministre Michel Rocard en 1988. Il effectue un stage de six mois à San Diego, au siège de la SAIC, machine de guerre privée et secrète du Pentagone et de la CIA, véritable « État dans l’État », qui le nommera vice-président de la SAIC-France. Il conseille la gauche qui cherche alors à s’approprier les thématiques de l’extrême droite face à la montée du FN, notamment la lutte contre « l’insécurité ». En 1997, il met sur pied le colloque de Villepinte avec le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, sur le thème : « Des villes sûres pour des citoyens libres ». Sa société AB Associates va proposer des « diagnostics de sécurité » aux municipalités françaises, multipliant ses bénéfices par cinq. Il créé l’Observatoire national de la délinquance à la demande de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, qui, devenu Président de la République le nommera à la tête de la commission nationale de vidéosurveillance. Il dirige la restructuration de la production idéologique de le guerre et du contrôle. en 2010, il est nommé à la tête du Conseil Supérieur de la formation et de la recherche stratégique (CSFRS) et obtient le titre de professeur titulaire de la chaire de criminologie du Conservatoire national des arts et métiers, imposée par le chef de l’État, contre l’avis de la communauté universitaire.

En quarante ans, cette coalition d’idéologues sécuritaires (parmi d’autres) s’est organisée en véritable groupe d’intérêts, d’influence et de pression à l’intérieur des classes dominantes. Elle a réussi « à importer la syntaxe et la grammaire de la contre-insurrection » avec sa doctrine du décèlement précoce qui développe des marchés de contrôle en mystifiant la demande. L’opération Tarnac est l’illustration de cette détection d’un « terrorisme en puissance caché dans l’ultragauche ». La justice, malgré d’innombrables efforts, n’a rien pu prouver et les médias ont dû assumer leur participation à ce montage tout en tentant de faire oublier le rôle des expertises criminologiques.
Cette rhétorique est devenue une doctrine économique d’État au service du contrôle et du capital. « La doctrine de sécurité globale synthétise bien la fonction des idéologues sécuritaires, à la fois managers de l’insécurité et promoteur d’un monde ordonné aux intérêts des marchands de guerre et de contrôle. » Mathieu Rigouste prévient qu’ « il est vain, stérile et absurde de critiquer l’idéologie sécuritaire sans attaquer système économique, politique et social qu’elle protège et propulse ». Il faut « inventer des formes de résistance ingouvernables ». « Les idéologues sécuritaires remplissent en définitive une fonction essentielle du maintien de l’ordre : diviser et opposer les résistances, criminaliser toute forme d’indiscipline et d’insoumission et égarer les dominés loin des combats pour l’émancipation collective. »

La postface de cette seconde édition revient sur la proximité d’Alain Bauer avec Manuel Valls qui le choisit pour parrain d’un de ses fils, et montre la continuité idéologique au sommet de l’État.

Outil indispensable pour comprendre le fonctionnement et les enjeux des politiques sécuritaires.





LES MARCHANDS DE LA PEUR
La Bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire
Mathieu Rigouste
178 pages – 8 euros
Éditions Libertalia – Collection « À boulets rouges » – Paris – Mai 2013
http://www.editionslibertalia.com/
Première édition : Février 2011




Voir aussi :

L’EXERCICE DE LA PEUR : Usages politiques d’une émotion

À LA RECHERCHE DU NOUVEL ENNEMI 

ENNEMIS D’ÉTAT - Les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes

LA SEPTIÈME ARME : une autre histoire de la République

LA TERRORISATION DÉMOCRATIQUE

LUNDIMATIN PAPIER #2 : Textes et documents relatifs à l’affaire dite « de Tarnac »

UN ESPACE INDÉFENDABLE - L’Aménagement urbain à l’heure sécuritaire

 

 

 

 

 



Lundi matin : Tarnac

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