Ainsi, un premier texte, ironique mais criant de lucidité, donne la parole à « ceux d’en haut » : « Nous sommes ceux qui commandons. Nous sommes plus puissants, bien que nous soyons moins nombreux. Nous n’avons rien à faire de ce que tu peux bien dire-penser-faire, du moment que tu restes muet, sourd, immobile. » « La justice est une putain de plus sur notre carnet d’adresse et, crois-nous, ce n’est pas la plus chère. » « Oui, nous avons semé la haine, le cynisme, la rancoeur, le désespoir, le rien-à-cirer théorique et pratique, le conformisme du « moindre mal », la peur faite résignation. Et malgré tout, nous craignons que cela se transforme en rage organisée, rebelle, sans prix. » Ils se réjouissent du « bon résultat » obtenu jusqu’à présent avec « le mythe de l’unité à tout prix » et « les révoltes individuelles », « émouvantes d’inutilité ». « En revanche, ce qui est vraiment un danger, un chaos véritable, c’est que n’importe qui devienne collectif, groupe, bande, race, organisation, et pour son propre compte apprenne à dire « oui » et à dire « non », et qu’ils se mettent d’accord entre eux. »
La « machine » est auto-suffisante : elle produit des profits exorbitants « en même temps que le combustible dont elle a besoin : la misère et le chômage ». « Non seulement cette merveille produit l’inutile, mais elle crée aussi le marché où cette inutilité se transforme en un article de première nécessité. » Si des « vandales ont la prétention de réclamer ce qui leur appartient, sur le modèle de « la terre est à ceux qui la travaille » », il est inutile de s’inquiéter car pour ça, ceux d’en haut ont « des gouvernants, des partis politiques, des religions nouvelles, des reality shows ».
Pourtant, les « contremaitres » expliquent à ceux d’en haut que s’ils essayent d’anéantir les « hérétiques » depuis cinq cents ans, ceux-ci les contournent, se mettent d’accord, se cachent et s’organisent. Il n’est pas possible d’éliminer, de séduire ou d’acheter leurs leaders car ils sont tous chefs et cheftaines. « Même si nous les ignorons, ils s’acharnent à rester en vie. Sans nos aumônes, pardon, je voulais dire sans notre aide, ils ont construits des écoles, ils ont fait produire la terre, ils ont bâti des cliniques et des hôpitaux, ils ont amélioré leurs logements et leur alimentation, ils ont fait baisser les indices de délinquance, ils ont liquidé l’alcoolisme. » Non seulement ils s’unissent entre eux mais ils se mettent d’accord avec les autres, avec tous les autres, et pensent par eux mêmes.
Le communiqué central du recueil explique que la Sexta est un appel zapatiste : « Appeler n’est pas unir. Nous ne prétendons pas unir sous une direction, ni zapatiste ni de n’importe quelle autre filiation. Nous ne cherchons pas à coopter, recruter, supplanter, avoir l’air, faire semblant, tromper, diriger, subordonner, utiliser. La destination est la même, mais la différence, l’hétérogénéité, l’autonomie des modalités de cheminement, sont la richesse de la Sexta, sont sa force. Nous offrirons le respect, et nous demandons et demanderons le respect. À la Sexta, on adhère sans autre condition que le « non » qui nous convoque et l’engagement de construire les « oui » nécessaires. » « Le système actuel en est arrivé à un stade de folie extrême. Sa soif de déprédation, son mépris absolu pour la vie, sa jouissance de la mort et de la destruction, son entêtement à installer l’apartheid pour tous les différents, c’est-à-dire tous ceux d’en bas, sont en train de mener l’humanité à sa disparition comme forme de vie sur la planète. » « Nous, nous ne voulons pas changer seulement de gouvernement, nous voulons changer de monde. »
Ces communiqués des sous-commandants insurgés Marcos et Moisés cultivent le paradoxe, trahissant une compréhension profonde et subtile de la réalité : « Quand nous disons « nous », nous ne sommes pas en train d’absorber, et ainsi de subordonner des identités, mais de mettre en relief les ponts qui existent entre les différentes douleurs et les diverses rébellions. Nous sommes égaux parce que nous sommes différents. » Ils répondent avec la même simplicité, la même lucidité, le même sens de la formule aux réformistes : « Vous, par exemple, vous n’êtes pas Eux. Bon, cela malgré le fait que vous ne semblez avoir aucun problème à vous allier à Eux, pour… les tromper et les défaire de l’intérieur ? Pour être comme Eux, mais pas si Eux que ça ? Pour réduire la vitesse de la machine, limer les crocs de la bête, humaniser la sauvagerie ? »
Ils expliquent ce qu’est « la vraie démocratie » qui ne se pratique pas seulement une fois tous les trois ou six ans mais tous les jours ouvrables dans toutes les instances de gouvernement autonome : « le peuple commande et le gouvernement obéit ». Comme avec la petite école zapatiste, ce sont les acteurs de l’autonomie eux-mêmes qui prennent la parole et enseignent leurs expériences : les sept principes du mandar obedeciendo, comment se résolvent les problèmes, « l’épineuse question de « l’équité de genre » dans la construction d’un monde qui se propose inclusif et tolérant », le fonctionnement des Conseils et des caracoles, la force aérienne zapatiste composée d’avions en papier envoyés aux militaires pour leur expliquer la vie communautaire,… Tout ceci « qui aujourd’hui est une réalité » est longuement expliqué aussi pour ceux qui restent « dans le refuge du scepticisme, ce solide et magnifique château fort des raisons pour ne rien faire ».
La préface de Jérôme Baschet donne les clefs de compréhension de ces communiqués livrés bruts de commentaires.
EUX & NOUS
Sous-commandants insurgés Marcos et Moisés
Préface de Jérôme Baschet
Traduit de l’espagnol (Mexique) par el Viejo
258 pages – 10 euros
Éditions de l’Escargot – Paris – Décembre 2013
Tous ces textes ont été publié sur le site lavoiedujaguar.net
Voir aussi :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire