Marvic voyage seule. À pied, en stop. En Géorgie, en Arménie, en Iran et en Turquie. Elle aime les rencontres avec les gens autant que la solitude des marches en montagne. Elle sait répondre aux « tentatives des mecs », lorsqu’elle dort seule sous sa tente, fait du stop, partage un moment ou un apéro avec eux : « Il suffit de gueuler un bon coup et ils s'en vont tout penauds. S’ils insistent, il faut juste gueuler plus fort. » Jusqu’au jour où le pire arrive. Sans jamais mettre son lecteur mal à l’aise par un excès d’épanchement, elle raconte ce viol et le chemin parcouru pour surmonter ses traumatismes.
Avec son récit d’une totale sincérité, elle ne cache rien de ses contradictions, confie ses émotions, ses désirs, son insouciance, ses souffrances, ses errances. Ses confidences, loin d’être impudiques, ont le mérite d’une absolue franchise, dans l’intention première de démêler la complexité et la confusion. En effet, avec ses patientes tentatives pour comprendre, à posteriori, l’enchaînement des événements, la pression perverse de la société qui recherche sans cesse la part de « responsabilité », voire de « culpabilité » chez les victimes, les différentes phases qui suivront, de la colère à la recherche désespérée d’une justice réparatrice, en passant par la peur, le dégoût de soi, du monde et de ses normes, ce témoignage n’élude aucun questionnement, au point de constituer une somme complète sur le sujet, de devenir un ouvrage incontournable et indispensable.
D’autres fils peuvent toutefois être suivis dans cet ouvrage dense car Marvic, sans doute grâce à ses études de sociologie, relève et dissémine de nombreuses observations qui, réunies, peuvent faire sens. Ainsi, note-elle à plusieurs reprises comment l’Islam est vécu par les gens : ces hommes d’Arabie saoudite avec qui elle pique-nique sur une plage et qui s’excuse presque de la tenue de leurs épouses : « C’est la coutume » , ces villageois qui improvisent une collecte pour lui payer le taxi et l’empêcher de faire du stop – absolument inconnu en Iran –, au nom du devoir imposé par leur religion.
Sa découverte de ce pays, qu’elle ne connaissait que par la BD Persépolis, est, notamment, fort intéressante. Il y a ces flics incapables de pisser dans la montagne parce que « c’est interdit de faire ses besoins en dehors des WC », mais aussi ces jeunes qui continuent à faire la fête, à picoler, bien que beaucoup aient déjà été fouettés pour cela.
Écrit assez rapidement après son retour, la première (auto)édition de ce texte, réalisée à partir de ses notes de voyages, commentées, analysées et organisées pour tenter de mieux saisir le traumatisme et ses conséquences, ne mit toutefois pas un point final à cette histoire. Dans la postface inédite de cette seconde édition, Marvic raconte son déni des « symptômes » et sa lente prise de conscience pour appréhender la réelle et complète étendue des dégâts subis, pour accepter de s’y confronter. Son corps sans cesse la rappelle à l’ordre jusqu’à ce qu’elle accepte de l’entendre. La lecture du témoignage de Guilia Foïs, notamment, et la consultation tardive de sites d’aide aux victimes vont lui ouvrir les yeux sur le chemin qu’il lui reste à parcourir. Elle mesure également l’emprise du patriarcat sur la société et de la culture du viol qui freine et entrave la reconstruction : « Ce n’est pas le viol qui nous détruit en tant que femme, ce n’est pas lui qui absorbe notre confiance en nous-même, ce n’est pas lui non plus qui détruit notre sexualité, qui nous mène à l’autodestruction, à la folie, aux conduites addictives, à l’isolement social. C’est la culture du viol, intrinsèque au patriarcat, qui fait ça. C’est elle qui en est responsable. C’est ce contexte qui rend le viol incurable. »
Pente raide a donc vocation à devenir un ouvrage de référence. Parce que « le silence nous entrave. Il tue. », Marvic a fait de la parole, une arme.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
PS : Cette recension a été en partie rédigée après une récente rencontre publique avec l’autrice, qui a permis de préciser certains points, en particulier quant à la genèse du texte. Nous ne pouvons d’ailleurs qu’encourager librairie et autres lieux à l’inviter et l’accueillir : sa spontanéité et son ingénuité permettent des échanges sans aucun embarras et d’une grande profondeur.
PENTE RAIDE
Marvic
368 pages – 22 euros
Éditions Ici-bas – Collection « Les réveilleurs de la nuit » – Toulouse – Octobre 2023
editionsicibas.fr/livres/pente-raide-recit
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