Journaliste indépendante, Thiphaine Guéret s’est rendue à Douarnenez, 100 ans après la fameuse grève des sardinières, pour rencontrer celles qui triment aujourd’hui dans les conserveries. Cinq mois d’enquête de terrain et d’entretiens pour que les commémorations (et leur « folklorisation ») n’occultent pas les conditions d’exploitation actuelles.
Douarnenez demeure le troisième port français en termes de tonnage et trois usines sont toujours en activité : une TPE artisanale, Kerbiant, et deux entreprises « historiques », Paulet et Chancerelle, commercialisant respectivement les marques Petit Navire et Connétable. La désinstrualisation progressive s’est accompagnée d’une automatisation partielle. Thiphaine Guéret constate tout d’abord l’évolution de la sociologie de la ville : construction d’un nouveau port, désertion des usines du centre-ville vers les zones industrielles périphériques, explosion des locations touristiques. Elle explique aussi comment le « capitalisme financier » s’est emparé de ces fleurons industriels locaux, rend compte de ses visites des bâtiments et raconte le quotidien du personnel, très majoritairement féminin – en raison d’une rhétorique essentialiste classique dans l’industrie agro-alimentaire – , dont beaucoup sont d’origines étrangères, recrutées directement dans leurs pays. À partir des témoignages recueillis, elle décrit les sessions de recrutement des intérimaires, officielles « variables d’ajustement », les conditions de travail dans les différents ateliers, les problèmes de santé, dont les fameux troubles musculo-squelettiques, propres aux tâches répétitives, l’accélération des cadences ces cinq dernières années, le sentiment de déclassement des plus anciennes avec la perte de qualité de ce qu’elles produisent, le management, mais aussi les solidarités qui se nouent et la nécessité de s’entraider, le rôle parfois ambigu des syndicats, mais aussi les mobilisations.
Admirable travail d’enquête, à hauteur de femme. Thiphaine Guéret sait se montrer discrète pour laisser place à la parole de ses interlocutrices. Laissons lui toutefois le mot de la fin : « Rien n’indique chez Chancerelle la proximité du Grand Soir. N'empêche. Par leur solidarité, lorsqu'elles se cotisent pour payer l'enterrement de la mère de l'une d'entre elles, en continuant de parler leur langue maternelle à L’usine, en se mettant en grève, même pour un seul jour, ou simplement en exprimant ici un point de vue critique sur leurs conditions de travail, elles dérangent ce qui est attendu d’elles – courber l’échine et en silence. Chacune, à sa manière, honore ainsi la mémoire des luttes de celles qui les ont précédées. »
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
ÉCOUTEZ GRONDER LEUR COLÈRE
Les héritières des Penn sardin de Douarnenez
Tiphaine Guéret
108 pages – 10 euros
Éditions Libertalia – Montreuil – Octobre 2024
editionslibertalia.com/catalogue/poche/ecoutez-gronder-leur-colere
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