En 1950, la reconstruction de Brest, rasée par les
bombardements, est interrompue. Les patrons ramassent des millions à
reconstruire leurs propres maisons tandis que les ouvriers continuent à vivre
dans des baraquements. Payés une misère, ils sont en grève depuis un mois,
rejoints par les dockers, les traminots et ceux de l’arsenal. Alors que deux
responsables syndicaux et deux députés communistes viennent d’être arrêtés, une
manifestation est prévue le 17 avril pour demander leur libération. La police
tire sur le cortège, blessant une vingtaine de personnes et tuant un militant,
Édouard Mazé. C’est alors qu’arrive le cinéaste René Vautier.
Adepte d’un cinéma militant, il est recherché par
les autorités pour ses films anticolonialistes « Afrique 50 » qui
seront interdits pendant quarante ans. On découvre avec lui la ville en total
chantier, la colère du peuple. On assiste aux obsèques. Le tournage ne dure que
quelques jours et le montage suit très rapidement. Faute de matériel de prise
de son, il va enregistrer un poème qu’Éluard a composé pour la mort d’un
résistant, en substituant son nom par celui de Mazé et le diffusera pendant les
projections. Celles-ci s’enchaînent, sur les piquets de grève et dans les
villages alentour, avec des moyens de fortune, galvanisant les foules par
l’émotion qu’il suscite. Lorsque le magnétophone lâchera, René Vautier lira le
texte lui même. Puis, lorsque sa voix à son tour l’abandonnera, l’un des deux
militants chargés de sa « protection rapprochée » qui l’accompagnent
depuis le début le remplacera et improvisera sa propre version des évènements,
bouleversant plus encore les spectateurs. Ce film de douze minutes tombera en
lambeaux à la cent cinquantième représentation, après avoir accompli son œuvre.
Il n’en reste rien. Dans l’urgence, des copies n’avaient pas été réalisées.
Éluard entendra l’enregistrement de l’interprétation de son poème « digéré
par le peuple », lui aussi disparu.
Nourri par une longue enquête, Kris et Davodeau ont
su se libérer de leur documentation pour construire un récit fluide et émouvant,
ne retenant que l’essentiel de ce qui s’avère être un crime d’État. L’exercice
est réussi. Ils révèlent aussi des faits occultés comme l’interdiction de
manifester ce jour-là, anti-datée par la mairie sous la pression de la
Préfecture.
Le dossier documentaire qui suit, complète intelligemment
le propos en revenant à la fois sur ces événements et leurs acteurs, l’origine
de ce projet. Conseillons notamment la lecture l’article sur « le cinéma
militant, une arme à dégainer ensemble » de Kristen Falc’hon, car c’est
bien de cela qu’il s’agit ici : un cinéma d’intervention sociale, création
collective pour refléter les évènements en cours en cherchant à influer sur
leur évolution. La contre-information ainsi apportée a souvent participé à la déstabilisation
de l’ordre établi.
UN HOMME EST MORT
Kris et Étienne Davodeau
84 pages – 15 euros
Éditions Futuropolis – Paris – octobre 2006
Adaptation en film d'animation : https://www.arte.tv/fr/videos/062881-000-A/un-homme-est-mort/
Adaptation en film d'animation : https://www.arte.tv/fr/videos/062881-000-A/un-homme-est-mort/
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