Le journaliste Fabrice Nicolino poursuit son travail d’enquête en documentant les diverses et nombreuses pollutions de l’eau. Celle du robinet n’est pas potable, mais les décisions à prendre seraient trop coûteuses pour beaucoup, alors on change simplement les normes. En vérité, sur fond de corruption quasi généralisée, de « copinage endogamique » et de renvois d’ascenseur, c’est un véritable assassinat concerté qui est en cours, commis en toute impunité, par l’agriculture intensive, les golfs et les piscines, la neige artificielle, les centrales nucléaires et les data centers,…
Pour rendre digeste une grande quantité d’informations, il s’adresse au lecteur et lui confie nombre de souvenirs personnels, comme sa participation à la lutte contre la construction du barrage de Serre de la Fare. Nous ne nous en tiendrons qu’à l’enquête.
Au Moyen-Âge, l’eau était regardée avec méfiance, associée à la période romaine. Ainsi à Périgueux, il n’y eut longtemps qu’une seule fontaine pour… 5 000 habitants ! L’ingénieur des ponts et chaussées Eugène Belgrand, en charge des eaux de Paris, décide de l’installation des fontaines Wallace et de la construction d’acqueducs pour acheminer une eau puisée à 150 km de la capitale. Napoléon III crée la Compagnie générale des eaux (qui deviendra Veolia) en 1853. Puis les travaux de l'institut Pasteur permettre l'invention de filtres contre les bactéries et la consommation d'eau courante sans crainte de contamination. Pendant la bataille de Verdun est mis au point un procédé nommé « verdunisation » qui consiste à ajouter une faible dose de chlore dans l'eau de boisson des soldats.
Après cette présentation historique, Fabrice Nicolino dévoile les critères exigés aux performances des stations d’épuration. Sont en effet uniquement mesurées la quantité d'oxygène permettant aux bactéries d’oxyder tout ce qui est biodégradable, la consommation d'oxygène par les oxydants et la quantité de matières en suspension, solides et visibles à l'œil nu. Les contrôles reposent entièrement sur l’auto-surveillance des maîtres d'ouvrage. Une note technique de 2016 suggère bien la recherche de micropolluants dans les eaux brutes et dans les eaux usées traitées mais elle n'est pas contraignantes. En 2021, un rapport de l’INRAE s’inquiète de leur présence et de leurs effets sur les organismes vivants (cancers, perturbations endocriniennes). L’auteur détaille également le processus de « fabrication » d'eau potable et présente des études estimant l’ingestion humaine de microparticules de plastique à 250 g par semaine soit l'équivalent d'une carte de crédit. En Europe, 98 % ne sont pas pris en compte par la méthodologie de détection (de même que les résidus de médicaments ne sont pas recherchés) et on en retrouve plus dans le cerveau des personnes mortes de démence. L’impact de ces pollutions est inconnu, parce qu’on les cherche peu (une vingtaine de substances à usage pharmaceutique sont jugées aujourd'hui pertinentes à surveiller alors qu'il y en a 3 000 en circulation pour les humains et 300 pour les animaux) et moins encore leurs possibles effets de synergie entre elles et au contact des pesticides, des détergents, des plastifiants,… De plus, « un pesticide crée en se décomposant environ six métabolites. En moyenne. J'ajoute que les métabolites eux-mêmes créent des métabolites, ce qui multiplie les risques, car certains sont plus toxiques que la molécule–mère dont ils sont issus. » En 2003, un document de la Commission européenne distingue les métabolites pertinents des métabolites non pertinents (dont l’appréciation est laissée à chaque État membre), les premiers devenant problématiques au-delà d'une concentration de 0,1 microgramme, les autres de 0,9. Il serait fastidieux de reprendre ici tous ses exemples, retenons sa conclusion : « le système des pesticides est hors de contrôle. » Quant aux PFAS, les substances per- et polyfluoroalkyées, appelées aux États-Unis forever chemicals, leur nombre semble difficile à estimer – peut-être jusqu’à 7 millions – mais seules 20 seront recherchées dans l’eau potable… à partir de 2026. Selon une estimation, la dépollution pourrait coûter entre 95 et 2000 milliards d'euros à l'échelle de l’Europe. « Bien sûr, la note ne sera pas payée. Elle est bien trop lourde, et l'exemple de l'amiante démontre qu'à chaque fois réapparaît sur la scène la règle d'or de l'aventure industrielle. Privatisation des profits, socialisation des conséquences. » Et en janvier 2025, on apprend que la dégradation des tuyaux en PVC qui ont remplacé les tuyaux en plomb provoque une surcharge en chlorure de vinyle, un composé cancérogène. En 2026, la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché de produits contenant des PFAS seront interdites, sauf les ustensiles de cuisine, à la demande du patron de SEB qui fabrique notamment les poêles en Téflon.
L’eau en bouteille, l’eau de pluie, les eaux de baignade,… ne sont pas mieux loties. L’INRAE estime que 25 à 75 % des pesticides épandus par l'agriculture industrielle se volatilisent pour retomber au sol avec la pluie, parfois très loin. Du côté des plages, le Pavillon bleu n’est octroyé qu’après recherche de seulement deux bactéries, alors que les études indiquent la présence de nombreuses bactéries résistantes aux antibiotiques notamment, dans les eaux côtières.
Il évoque évidemment aussi l’agriculture industrielle, grande consommatrice d’eau, dont 90% est destiné à l’irrigation, essentiellement à l’aide d’aspergeurs (et non en goutte à goutte), principalement pour le maïs, plante tropicale qui nécessite la construction de « retenues de substitution » qui privent les sols de l’eau dont ils ont besoin pour se régénérer. Alors que les usagers payent 75 % de la taxe globale sur l’eau bien que n’en consommant que 26 %, l’agriculture intensive qui en consomme 58 % ne règle qu’entre 2 et 15 % de redevances.
Il raconte ensuite comment « le nucléaire aura été de bout en bout un coup d'État. » Celui-ci consommerait 31 % de l'eau en France pour refroidir ses centrales. Compte tenu du réchauffement climatique, les textes réglementaires sur leurs rejets d’eau chaude… ont été assouplis en 2023 !
Les piscines, les golfs, les canons à neige, les datas centers sont également de gros consommateurs et des pollueurs chroniques (chlore, pesticides, etc) comme Nicolino nous l’explique, chiffres issus de rapports officiels à l’appui. Il documente également le rôle dominant des trois corps d’ingénieurs dans les politiques publiques, souvent à la fois conseillés et décideurs. Leurs « rémunérations accessoires », primes accordées en fonction du volume de travaux effectués sous leur contrôle, expliqueraient pourquoi il n’y a pas de châteaux d'eau en Angleterre. Puis, à partir de l'exemple d’Alain Carignon, il évoque la correction, ainsi que l’affligeante histoire et le fonctionnement occulte des compagnies des eaux : Saur et Veolia-Suez.
Pour ne pas en rester avec cet état des lieux profondément désespérant, il invoque les Fremen, peuple nomade du roman de Franck Herbert, Dune, qui entreprend d’ensemencer le désert, donne en exemple les castors et leur rôle dans les écosystèmes. Il appelle à une révolution copernicienne sans attendre d’éventuelles réformettes. Il considère notamment que la dépollution est « le dernier clou sur le cercueil de nos illusions ». Au contraire, ne plus polluer oblige à repenser tous les process industriels, agricoles, domestiques, à réorganiser le monde, et son industrialisation. « Des siècles d'arrogance technicienne ont imposé comme un fait l'idée que l'eau nous appartient. C'est bien sûr le contraire : c'est nous qui en faisons partie. »
Enquête extrêmement complète qui donne un panorama complet (et un peu désespérant) des pollutions des eaux.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
C’EST L’EAU QU’ON ASSASSINE
PFAS, pesticides, micro plastiques, cosmétiques, médicaments…
Fabrice Nicolino
304 pages – 19 euros
Éditions Les Liens qui libèrent – Paris – Mai 2025
www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-C_est_l_eau_qu_on_assassine-806-1-1-0-1.html
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