À sa petite-fille venue lui rendre visite à la
maison de retraite, Marina raconte les événements qui ont marqué à jamais sa
jeunesse. Le jour du coup d’État franquiste, elle fêtait ses 15 ans et dû
bientôt fuir son village basque bombardé, puis la ville d’Irun assiégée, avant
de se retrouver chez une tante à Barcelone puis, à partir de 1939 dans un camp
de concentration sur la plage d’Argelès-sur-mer. Son père parviendra à trouver
au Venezuela un nouvel asile pour la famille. Ils y sont restés 40 ans avant de
rentrer en Espagne. Elle lui parle de ses amies, de sa sœur, mortes sous les bombes.
Son récit est entrecoupé d’autres témoignages
d’exilés fuyant les mariages forcés, la guerre, l’homophobie, l’exploitation
sexuelle… L’alternance est subtilement signifiée par un choix de gamme de tons
propres à chaque séquence. À travers les époques et les lieux, les situations
présentent d’étranges similitudes. La brutalité des surveillants des frontières
est partout la même. Parfois, certains ont toutefois des petits gestes de
bienveillance… qui font souhaiter à leurs collègues de changer de coéquipier.
Lorsque le seul espoir réside dans la fuite, l’asile
est souvent une prison et la peur une compagne obsédante. Pourtant Javier de
Isusi a su trouver une réponse à la fatalité de tous ses drames avec une fin
pleine d’humanité. Avec beaucoup de retenue, il réussit par ses choix de
couleurs et une maitrise parfaite de l’aquarelle, à rendre l’émotion des
témoignages. De même, il sait rompre l’agencement monotone et rigoureux de ses
cases, avec parcimonie et uniquement lorsque cela est pertinent. C’est d’autant
plus efficace.
(Nous retirerons
bien entendu cette double page à la demande de l’auteur où de l’éditeur)
La lecture de cet album marque profondément. Une
fois le livre refermé, la violence de ces destins brisés rapportés avec
beaucoup de justesse et de pudeur, ne nous quittera pas si facilement. En
remplaçant des chiffres et des informations dont les médias nous abreuvent, par
des visages et des histoires individuelles, Javier de Isusi a su rendre
humainement perceptibles des drames devenus collectifs et abstraits. Le lecteur
réagira sans doute comme la petite fille de Marina : sans lui donner
aucunement de leçon, sa grand-mère lui permet de prendre conscience, tout
simplement, et l’appartement de Bilbao qui était le prétexte de la visite est
finalement le symbole de ce changement profond (sans vouloir trop en dévoiler).
Un livre à lire, à offrir, à prêter, à oublier sur
un banc, à conseiller, à faire acheter par les bibliothèques,…
ASYLUM
Javier de Isusi
Traduction de Alejandra Carrasco Rahal
96 pages – 16 euros.
Éditions Rackham – Collection « Le Signe
noir » – Paris – octobre 2016
Du même auteur :
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