Nous n’avons que trop rarement l’occasion d’évoquer la production éditoriale pour la jeunesse. La parution de ce magnifique imagier nous donne l’occasion de clarifier certains points.
Comme il nous y a habitué sans jamais nous décevoir, Martin Jarrie a réalisé ici une palanqué de grandes images, toujours aussi superbes, impeccables et majestueuses. S’il semble ne pas vouloir trancher dans le vieux débat entre le traditionnel imagier normatif qui présente une galerie de représentations supposées « étalon » (LA pomme, LE biberon, etc), et l’humble imagier qui échantillonne une représentation parmi d’autres (UNE pomme, UN biberon, etc), son parti pris de faire l’économie de tout article (pomme, biberon, etc) n’est pourtant pas aussi neutre qu’il paraît et semble plutôt s’inscrire dans la première tendance, induisant une dimension majuscule que conforte la dimension imposante de l’illustration.
Pourtant, notre reproche est de toute autre nature. En effet, si le titre de couverture nous annonce orgueilleusement un « imagier du vivant », nous ne trouvons en parcourant cet album qu’une collection d’objets retirés de leur environnement : fleurs coupées, fruits et légumes récoltés, parfois ouverts, toujours prêts à être consommés. Remercions l’illustrateur de nous avoir épargné son lièvre dépecé, son cochon éventré, son mouton égorgé. Nous ne sommes d’ailleurs guère surpris d’apprendre que ses tableaux sont exposés au musée de la chasse ! Toutes ces choses, si elles ne sont pas toutes encore mortes, n’en demeurent pas moins détachées de leur milieu de vie, exposées aux regards humains à dessein d’édification, référencées avant d’être livrées aux désirs et aux besoins humains (couleuvre exceptée peut-être), prêtes à l’emploi en quelque sorte.
À l’heure où il devient impératif et absolument vital de questionner la place de l’homme dans la nature, de remettre en cause sa centralité destructrice et mortifère pour l’ensemble du vivant, alors que deux cents espèces disparaissent chaque jour, est-il pertinent de proposer à nos enfants ces représentations anthropocentrées et détachées de leur environnement naturel ? Et surtout de les leur présenter comme images du vivant ? Alors que se multiplient les propositions philosophiques pour appréhender le monde à la manière des loups ou des aigles, par exemple, ne serait-il pas temps d’envisager de semblables propositions pour la jeunesse, afin de commencer à remettre l’humain à sa place ? Un livre pour enfant n’est jamais innocent : il conditionne des schémas de pensée ; il reproduit un modèle dominant ou participe à l’émancipation en donnant à voir d’autres perspectives. Les créateurs ne peuvent s’affranchir des débats actuels. Leurs oeuvres ne sont jamais innocentes. Nous attendons des albums qui présenteront à la jeunesse les autres être vivants comme leurs égaux et non comme des ressources, qui proposeront d’autres façons d’être au monde.
Martin Jarrie n’est sans doute qu’un peintre habile qui s’applique (et parvient) à donner aux planches illustrées du Larousse le statut d’oeuvre d’art. Sans doute le titre malencontreux de son livre lui a-t’il été soufflé par l’éditeur ou l’équipe commerciale qui n’est pas à un contresens près pour réussir à vendre du papier. Ne lui jetons donc pas la pierre.
IMAGIER DU VIVANT
Martin Jarrie
48 pages – 15,50 euros
Éditions Seuil jeunesse – Paris – Octobre 2020
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