En avant-propos, il entreprend une mise au point pour distinguer l’action directe des mobilisations citoyennistes, comme une « campagne de lobbying pétionniste dont les cyberactivistes saluent la victoire chaque fois qu’un expert en marketing agroalimentaire s’avise qu’il sera plus profitable d’étiqueter “sans OGM“ un cracker industriel de tradition ». Il ne faut guère se féliciter que la compagnie Monsanto ait prétendument abandonné la technologie « Terminator » alors qu’elle a, en réalité, renoncé à l’acquisition du semencier qui la détenait pour ne pas s’exposer à l’application des dispositions antitrust américaines. Leur campagne « en arrivait presque à poser la question de la fonction de la recherche dans la société industrielle quand la mise en avant de la pseudo-question de la “malbouffe“ vint opportunément soulager la panique ainsi provoquée dans la communauté des chercheurs ».
Le premier entretien, publié dans Alice, traite essentiellement de la Confédération paysanne, depuis sa fondation en 1987, et de ses rapports, souvent conflictuels, avec celle-ci. Exclu de l’International situationniste, il se réfugie à la campagne en 1973, avec sa compagne, dans les Pyrénées-Orientales. Au début des années 1980, après avoir « délibérément vécus en marginaux », ils choisissent de devenir éleveurs. La Confédération départementale, manquant d’un moutonnier, les contacte. Il avait eu le temps de se « forger une idée assez précise de la nature et de la fonction du monopole de la FNSEA sur le monde agricole, et de ses capacités de nuisances ». Si la Confédération paysanne était une organisation pyramidale, « calquée sur les structures administratives de L’État et opposé à toute refonte de type fédéraliste », elle témoignait « d’un soucis démocratiste plutôt honorable ». Et « si ces paysans se posaient en ennemis du système FNSEA, ils ne pouvaient pas être entièrement mauvais. » Leur critique du productivisme pouvait s’avérer une entre possible vers une critique élargie de la technique. Il retient de cette expérience l’incapacité de la Confédération à « mener ses analyses à leur terme en échappant à la vieille politique » et « sa jubilation à endosser la casaque de l’économie à visage humain, cette “nouvelle frontière“ des étatistes d’aujourd’hui. Constant qu’à « l’esprit coopératif » s’est partout substitué « la logique économique pure », jusqu’à « des délires entrepreneuriaux de concentration capitalistique ». « C’a été de différentes façons le lot commun de tous ces outils émancipateurs créés ou initiés par le mouvement ouvrier réformiste dans l’idée qu’ils pouvaient coexister avec l’économie réelle, sinon la supplanter progressivement. Je sais que ça peut faire figure d’exécution sommaire et je ne veux pas passer à la trappe les interminables et riches débats que ça a nourris pendant plus d’un demi-siècle. Mais c’est bon à dire quand tant de néo-docteurs en économie alternatives s’agitent aujourd’hui à réinventer ces vieilleries, tandis que ne cesse de croître l’intérêt de l’État, et de ses métastases continentales ou loco-régionales, pour les projets collectifs qui ne peuvent faire moins qu’émerger de ces dynamiques locales, auxquels on a obligeamment fourni, pour les piloter, leurs indispensables accompagnateurs de projets. (…) Et je ne dis pas qu’on doive, ni en agriculture ni ailleurs, s’interdire de tenter de s’organiser de façon “alternative“, d’essayer d’empêcher la captation de la plus-value du travail ou d’expérimenter des relations et des conditions hors normes de travail et d’échange des produits du travail. (…) Je ne crois pas que ça contribue à changer le monde. Mais je veux bien croire que ça puisse, en partie au moins, changer un peu la vie de ceux qui le font. »
Il dénonce la « vocation multifonctionnelle » de l’agriculture industrielle et subventionnée par l’État pour produire des biens alimentaires, de l’environnement, du paysage, du territoire aménagé, du « lien social », de l’emploi. Alors qu’elle n’a au contraire cessé de réduire sa contribution à une « multifonctionnalité » rurale. « Il n’y a plus de paysans parce qu’il n’y a plus de société paysanne. » Au centre de celle-ci il place la notion d’autonomie des exploitations (vis à vis des intrants en particuliers), autonomie de la production, affranchie de l’intégration verticale (fourniture par l’industrie des semences ou des poussins et achat de la récolte à prix pré-fixé), de l’intégration horizontale (des producteurs en difficulté par des gros), de l’intégration par l’aval (avec la grande distribution). Il reproche à la Confédération de ne pas contester le développement mais de spéculer sur un développement « solidaire », assimilé au développement durable.
Il reproche à la recherche publique, en France, d’avoir fourni clés en main aux agriculteurs les recette d’un « utilitarisme scientiste » et constate que la dénaturation de leur activité a touché d’abord l’ensemble de l’existence des paysans, alors que dans le cas des salariés, il a d’abord fallu que l’économie s’attaque à la colonisation du « temps libre ». Les savoirs « traditionnels » ne peuvent, selon lui, être préservés quand les sociétés dont ils étaient la respiration, disparaissent.
Le second entretien, paru dans No pasaran !, concerne plus spécifiquement les luttes contre les OGM. Avant le sabotage de Nérac en janvier 1998, les arguments des opposants portaient sur les risques sanitaires et environnementaux des applications agricoles du génie génétique, l’industrialisation aggravée des modes de production et la dépendance accrue des agriculteurs vis-à-vis des firmes semencières. Mais renouer avec la pratique du sabotage et la tradition luddite antitechnicienne, anti-industrielle et anti-progressiste, suscita la réprobation des « militants citoyens-écologistes-consommateurs » par son illégalisme. Le démontage du McDonald ’s ne pouvait se voir imputer de dérives antiscientifiques voire antiprogressistes. « C’était tout cuit : les multinationales, l’impérialisme yankee, le cassoulet qui barre en couille. Et comble du bonheur, la répression, la remise en cause des libertés syndicales ! ». René Riesel est très critique vis-à-vis de José Bové : « son entrain à se soumettre et à rechercher l’amplification médiatique a tout de suite imposé aux médias l’idée que la posture qu’il avait prise n’était un excellent gimmick médiatique. L’événement étant créé, il ne leur restait plus qu’à saluer l’artiste et à entamer avec lui, comme c’est leur fonction, la fructueuse collaboration qu’on sait. » « Quiconque observe de bonne foi l’évolution de cette société n’échappe pas à la conclusion qu’une de ses forces est de savoir répondre, par anticipation s’il le faut, aux nouveaux problèmes de gestion, de régulation et de contrôle sociaux que lui pose son incontestable victoire historique : elle est, pour l’essentiel, venue à bout de toutes ses formes connues de résistance à son empire. Elle n’a plus d’opposition révolutionnaire, fût-elle justifiée ou spectaculaire, et ne peut donc plus avoir d’opposition réformiste. Elle a appris qu’il sera toujours avantageux de mettre en scène les conflits fictifs où elle laisse aux adversaires factices qu’elle se choisit le soin de rédiger leur cahier de doléances et la liste des ménagements qu’elle a besoin de mettre en oeuvre. » Il lui reproche ses « niaiseries qu’il récite sur le contrôle citoyen de l’OMC » et ses appels naïfs à plus de contrôles et de normes étatiques, ses demandes sécuritaires, qui ne font que « reproduire ou renouveler le langage et le mensonge de la domination ».
Parmi la poignée de documents qui suit, on trouvera la Déclaration devant le tribunal d’Agen, à l’occasion de la comparution de José Bové et Francis Roux, lors du premier procès du maïs transgénique le 3 février 1998, par laquelle il interroge : « Est-il possible de faire entendre la vérité quant tant de puissances, d’État et d’argent, se liguent pour l’occulter ? Comment, lorsqu’on est du côté des assourdis, des sans-voix, faire obstacle aux machinations que les marchands et leurs commis ourdissent au grand jour dans l’insolente certitude où ils sont, non d’avoir nécessairement raison mais de n’être pas contredits ? Comment y parvenir en cas d’urgence ? » Il dénonce l’État français qui à autoriser la commercialisation et la mise en culture du maïs transgénique Novartis en mentant sur l’avis du Comité de Prévention et de Précaution qu’il avait lui-même désigné, qui a fait grand cas « d’un Principe de Précaution dont on avait pu imaginer qu’il allait s’imposer aux gouvernements par prudence politique sinon par sens moral ». « Je le répète. Ce que nous avons fait à Nérac le 8 janvier était parfaitement légitime. Je continuerai d’agir en fonction de ce qui me paraît tel quand bien même les lois tarderaient à l’admettre. »
Dans un courrier à José Bové, alors emprisonné, il le prévient : « L’essentiel va maintenant se jouer sur la capacité à ressaisir les fils, et d’abord par la parole maîtrisée ou par l’écrit. J’essaie de faire ce que je peux dans un certain isolement, donc plutôt de façon souterraine, avec les limites que ça comporte. Tout va reposer sur toi à ta sortie. Prépare-toi bien, ça va être lourd. Mais l’occasion est trop belle de parler clair, sur les liens véritables entre les actions menées, sur l’actions directe, sur les OGM et les empoisonneurs eugénistes, contre les illusions réformistes Tobin, et sur l’État évidemment ! Toi seul, au point où en sont les choses, peux casser la bovémania qui cache la forêt. »
Utile complément de ses AVEUX COMPLETS DES VÉRITABLES MOBILES DU CRIME COMMIS AU CIRAD LE 5 JUIN 1999 et surtout réponse pratique à CATASTROPHISME, ADMINISTRATION DU DÉSASTRE ET SOUMISSION DURABLE ou à l'ADRESSE À TOUS CEUX QUI NE VEULENT PAS GÉRER LES NUISANCES MAIS LES SUPPRIMER
DÉCLARATION SUR L’AGRICULTURE TRANSGÉNIQUE ET CEUX QUI PRÉTENDENT S’Y OPPOSER
René Riesel
114 pages – 9,70 euros
Éditions de L’Encyclopédie des nuisances – Paris – Juin 2000
Première parution sous forme de brochure en 1991
Du même auteur :
CATASTROPHISME, ADMINISTRATION DU DÉSASTRE ET SOUMISSION DURABLE
AVEUX COMPLETS DES VÉRITABLES MOBILES DU CRIME COMMIS AU CIRAD LE 5 JUIN 1999
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